Papou Lahoud Saadé

Prestige Nº249, Avril 2014

 
 

Une belle page de l’Histoire du Liban

L’Architecture d’intérieur est sa formation, et le stylisme sa grande passion. Passion d’un jour, exprimée sur les bancs de l’école, à travers les modèles de robes qu’elle dessinait à ses amies; passion de toujours, dévoilée à travers l’atelier de couture qui porte son nom, mais surtout à travers les costumes traditionnels de théâtre ou autres, qu’elle puisait amoureusement du patrimoine vestimentaire de son pays. Et comme on dit, «le premier amour dure toujours», plus de soixante œuvres immortelles jalonnent la carrière de la styliste et mère de famille Papou Lahoud Saadé. Une belle page de l’Histoire du Liban qu’elle raconte à Prestige.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

Papou Lahoud Saadé présente une robe de mariée de sa création, dans son atelier de couture «Papou» fondé en 1974.

C’est une note romantique qu’on retrouve dans votre prénom, Papou. Quelle est sa signification? Ce n’est pas très romantique, mais plutôt sympathique. Mon véritable prénom qui figure sur la carte d’identité est Amal, c’est-à-dire espoir. Je suis née dix-huit ans après le retour de mon père de l’Argentine au Liban. Avec mes cheveux bouclés et le premier mot que j’ai balbutié, «Papo», mon père m’a appelée Papou, que j’ai conservé.

Etes-vous née dans un environnement familial artistique? Il n’y a pas d’artistes dans la famille. Mon père était le député de Jbeil et Kesrouan, un politicien, et ma mère, une femme au foyer mais qui aimait beaucoup l’art. Elle n’hésitait jamais à nous emmener à tous les événements artistiques, théâtre, ballet, musique… Mon frère aîné Roméo était prédestiné par mes parents à une carrière politique, mais lui a choisi l’art. Au départ, ce fut la déception pour la famille, transformée plus tard en admiration et soutien. Aline, ma sœur aînée, a étudié le piano, mais elle est devenue journaliste politique. Pour ma part, je suis diplômée en architecture d’intérieur, mais j’ai opté pour la danse et le stylisme. Et à l’heure où Nay, ma sœur, est chorégraphe et mon bras droit dans la confection des habits, Nahi est producteur de théâtre et directeur artistique.

A quel âge avez-vous débuté, et qu’est-ce qui vous a poussée au stylisme?J’ai débuté plus ou moins ma carrière à l’âge de quatorze ans. Je dessinais des modèles de robes à mes amies sur les bancs de l’école. Puis j’ai dessiné pour un célèbre magazine de mode, l’unique à cette époque. Et lorsque Roméo a été choisi, en 1963, pour  présenter  le spectacle «Al-Shallal» au Festival de Baalbeck, il m’a proposé de faire les costumes, et il m’a initiée. Il m’a emmenée tout d’abord voir Baalbeck que je ne connaissais pas, puis le Musée des Habits à Beiteddine, et enfin il m’a montré les lithographies de nombreux grands orientalistes, pour la scénographie, afin  de  pouvoir transposer le costume réel en costume de théâtre. Je voudrais signaler ici que les documents les plus importants concernant le costume libanais datent des XVIIIe et XIXe siècles uniquement, il y en avait très peu du XVIIe, et absolument rien de l’époque antérieure. Je pense que cette carence est due au fait que le Liban, de par sa situation géographique sur le littoral, au carrefour de l’Est et de l’Ouest, a subi de nombreuses invasions, et des passages étrangers, qui détruisaient les aspects civilisationnels. Il y a malheureusement un manque d’attachement à nos racines.

Racontez-nous votre parcours… Comme je l’ai déjà signalé, Roméo m’initiait et me faisait exécuter beaucoup de modèles. A mon grand bonheur, surtout que la notion de styliste était encore peu connue au Liban. J’ai donc suivi, pendant quatre ans, des études d’architecture d’intérieur à l’Ecole Camondo, à Paris, tout en continuant à réaliser des costumes pour Roméo. De retour à Beyrouth, le diplôme en poche, j’ai reçu un flot de propositions de travail, pour des costumes de pièces, modernes, comédies musicales, ballets… J’ai donc fini par troquer l’architecture d’intérieur contre le stylisme. J’avoue que je n’ai pas choisi mon métier, c’est plutôt lui qui m’a choisie. En 1974, de costumière de théâtre, j’ai fait des robes de mariage et de soirée dans l’atelier de couture «Papou» que j’ai fondé, à la demande de la clientèle. Pendant quatorze ans, je me suis éclipsée des costumes de théâtre, mais pas de la couture, pour être aux côtés de mon mari et de mes enfants.

Vous avez fait aussi des uniformes d’hôtesses pour les compagnies d’aviation et autres… La première création d’uniformes pour les hôtesses date de 1973. C’était pour la Compagnie aérienne royale de la Jordanie, Alia. Parallèlement aux robes de mariage et de soirée confectionnées dans ma boutique, j’ai réalisé les costumes jordaniens et palestiniens de la Troupe royale du folklore jordanien, les uniformes des hôtesses de l’Office du Tourisme libanais et ceux du personnel féminin de la Sûreté générale. Le sultan de Brunei m’a également demandé d’habiller les hôtesses de sa compagnie d’aviation privée. Dans les années 90, ce fut le tour des hôtesses de la compagnie nationale d’aviation, la MEA de porter mon uniforme, ainsi que d’autres institutions, tel le Duty Free Shop. Papou Lahoud (7)

© Archives Papou Lahoud Saadé

Papou Lahoud a commencé à créer les uniformes en 1973, habillant les hôtesses de la compagnie d’aviation royale jordanienne Alia, qu’on voit dans cette photo prise avec le roi Hussein de Jordanie.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

En 1979, les hôtesses de l’Office national du Tourisme libanais sont habillées par Papou.

Racontez-nous l’histoire de Papou Lahoud, la personne…Je suis originaire de Amchit, mais ma naissance a eu lieu à Hbaline, un village alentour, où habitait ma grand-mère maternelle. Invitée à déjeuner chez elle, ma mère a senti fortement les  douleurs de l’accouchement et m’a mise au monde à la maison, entourée de toute la famille. C’était un 14 février, à 20 heures. Dehors, il pleuvait à torrents, et à l’intérieur, la joie était générale. Plus tard, j’ai fait mes études scolaires chez les Sœurs Franciscaines de Beyrouth, et obtenu les Bacs français et libanais, suivis de mon diplôme d’architecture d’intérieur, à Paris. Comme j’avais toujours  rêvé  d’être peintre, j’ai  organisé deux  expositions, dont l’une a eu lieu avant mon voyage à Paris, dans le célèbre «Le Grenier». Les tableaux, gravures et gouaches, ont été vendus, à l’exception d’une pièce que mon père a gardée. En 1979, c’était le grand Jour, mon mariage avec le Professeur Béchir Saadé, chirurgien cardiovasculaire et thoracique. Il appréciait énormément mon travail qui lui conférait sérénité et détente. Mes enfants, Béchir, docteur en économie politique, et Yara, diplômée en relations publiques et styliste modéliste à Esmod, aiment l’art et la musique. Béchir est aujourd’hui, le papa d’un petit garçon, et moi, son heureuse grand-mère.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

En 1998, Papou est décorée par le président Elias Hraoui.

Que ressentez-vous, en tant que grand-maman? Je suis «liquéfiée», quand je le vois ou pense tout simplement à lui. J’adore mes enfants, que serait-ce alors du petit-fils? La maison de mes grands-parents à Hbaline est devenue la nôtre. J’ai conservé son cachet traditionnel patrimonial à l’ancienne, et toutes les innovations que j’ai apportées sont dans le même esprit.

Seriez-vous à la 34e comédie musicale portant votre signature en matière de costumes? En fait, j’en ai fait trente-trois  avec  Roméo, car  lors  d’une  comédie  musicale,  j’habillais la Troupe royale du folklore jordanien. Entre 1971 et 2014, j’ai fait une soixantaine de pièces.

Comment se fait la sélection des costumes de théâtre? La sélection se fait au niveau de l’histoire, de l’écrivain et du metteur en scène. Tout dépend de la pièce. Il faut savoir influencer le spectateur à travers les costumes et les couleurs.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

En 2012, Papou signe les costumes de la pièce 3a ard el Ghajar.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

Papou Lahoud a créé les costumes de la Troupe royale du folklore jordanien.

Dans Tarik el Chams, d’où avez-vous puisé votre source d’inspiration? Et la femme que vous avez habillée, à qui ressemble-t-elle? A une fée ou à une femme ordinaire? Tarik el Chams est un conte inventé par Roméo. Il ne s’agit pas d’une pièce historique, mais le spectateur a l’impression que la scène a lieu au Liban. Le décor du palais rappelle Deir el Qamar. Pour les costumes, je me suis basée sur la seconde moitié du XIXe siècle, mais aussi sur mon imagination. Quant à la femme que j’ai habillée, elle n’est pas l’unique  héroïne de la pièce. Il y en a plusieurs, en fait. La propriétaire du palais Morjane, je l’ai habillée dans un esprit plus traditionnel que l’autre. Antara, la petite adolescente espiègle, est habillée d’une façon plus fantaisiste. Bdour, la femme qui vient de nulle part, je l’ai imaginée avec une touche orientale, mais avec beaucoup de fantaisie. A l’instar d’une fée qui vient pour sauver les autres.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

Variété de couleurs, pour les costumes des héroïnes de Tarik el Chams.

Que ressentez-vous quand  le public vous félicite? Etes-vous l’unique créatrice libanaise à vous spécialiser dans les costumes traditionnels? Je suis énormément touchée. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir un regard critique vis-à-vis de mon travail. Bien plus, je suis la plus méchante critique de moi-même. En général, les stylistes libanais ne s’intéressent aucunement au théâtre, qui n’est pas lucratif. Raison pour laquelle je suis plus ou moins une des seules créatrices de costumes traditionnels.

Quelles sont les matières essentielles qui reviennent dans toutes vos créations? Il n’y a pas de matières essentielles. Je préfère les tissus souples qui accompagnent le mouvement du corps de l’artiste. Les broderies ne sont pas essentielles.

Avez-vous un penchant pour une période déterminée de l’histoire? Votre style est -il traditionnel ou varié? Je n’ai pas de penchant particulier pour une période déterminée. Mon style est plutôt varié. J’adore le moderne et le futuriste, j’ai commencé avec la tradition, à cause du théâtre. Il ne faut jamais renier la tradition.

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© Archives Papou Lahoud Saadé

Salwa el Katrib, en princesse libanaise.

Vous   avez   créé  des  r obes   de   mariage.  Quel  style  de  mariée  préférez-vous? Chaque mariée a son style, sa beauté, sa jeunesse.

A quoi attribuez-vous votre talent? Au Bon Dieu.

Quelles sont les pièces les plus proches à votre cœur? J’aime «Yasmine», de Roméo. Pas spécialement pour les costumes, mais parce qu’elle est riche en poésie et en nostalgie. Roméo y a mis tout son cœur en l’écrivant.

Regrettez-vous la période de grandeur du Liban des années 50 et 60? Je n’aime pas les regrets. Quand je me suis éveillée à la vie, il y avait la guerre. Je vis le moment présent avec un regard vers l’avenir. Propos recueillis par MIREILLE BRIDI BOUABJIAN

Questionnaire de Proust

Quel est votre principal trait de caractère? Je suis trop franche. La qualité préférée chez une personne? La franchise. Votre principale qualité? Le pardon. J’ignore ce qu’est la rancune. Votre principal défaut? La nervosité. Si vous n’étiez pas Papou Lahoud, qui auriez-vous aimé être? Papou Lahoud, la ballerine danseuse de ballet. Dans quel pays aimeriez-vous vivre? Là où je vis, au Liban. Quelle est votre couleur préférée? La couleur turquoise. La fleur que vous aimez? La pivoine. L’oiseau que vous préférez? La colombe. Vos lectures? Auteurs, poètes favoris? J’aime les livres, les romantiques. Mes favoris sont Amin Maalouf et Alfred de Vigny. Un modèle d’héros dans votre vie? Mon mari, Professeur Béchir Saadé. Que détestez-vous par-dessus tout? Le mensonge. Un don de la nature que vous aimeriez avoir? Avoir la belle voix de Salwa el Katrib, ma belle-soeur. Votre devise dans la vie? Faire ce que j’aime, sans obligation aucune.

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