La légendaire Sabah

Prestige N°7, Décembre 1993

 

Elle a cette façon incomparable d’apparaître, de paraître. Somptueuse, elle rayonne littéralement à l’image de son surnom qu’elle porte depuis le début de son périple artistique, cinquante ans plus tôt. Elle incarne le visage radieux et sécurisant du bonheur, de l’amour qu’elle n’a de cesse de chanter et de vivre. En un mot, Sabah est une légende, belle, inimitable. Sabah appartient à ce genre d’étoiles, ces superstars, si rares de nos jours. Pour ce statut exclusif, elle sacrifia tout et consacra toute une vie.

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© Bassam Lahoud

La légendaire Sabah. Pionnière de notre chanson nationale, elle exigeait d’interpréter dans chacun de ses films une chanson libanaise.

C’est sur les bancs d’école que les talents s’éveillent. A l’école jésuite de Beyrouth, un don vocal voit le jour; pendant une fête particulière de fin d’année, une pièce de théâtre est jouée par des écoliers, elle s’intitule «La princesse Hind». Hind, s’appelle en fait, Jeannette Féghali. Elle joue, chante, attire vers elle tous les regards. Elle porte encore le tablier de l’école. Sabah raconte sa vie très simplement, comme si elle feuilletait un conte des mille et une nuits. UNE ÉTOILE EST NÉE. «Ma première fête officielle? C’était en 1943. J’avais quatorze ans. La fête était organisée par le syndicat de la presse à l’époque de Robert Abela, au Grand Théâtre au quartier Maarad, ce soir là, seules deux personnes m’accompagnaient: Georges Farhat au Oud et Sarkis Bassim au Nay. Mon premier cachet: 250 livres libanaises. Ensuite, tout en poursuivant mes études, j’ai chanté au café Saadé à Dora, avec Wadih el Safi. Je me rappelle aussi le café Boutros où jouaient les musiciens Assi et Mansour el Rahbani. Mon succès au Grand Théâtre m’a valu l’attention de M. Qaïsar Younès, apparenté à Asia Dagher, la célèbre productrice égyptienne et agent de celle-ci au Liban. Younès a demandé à mon père de m’autoriser à l’accompagner en Egypte pour débuter dans l’actorat. Mon père a finalement accepté. Il a vendu la maison de mon grand-père à Wadi Chahrour pour 4 mille livres libanaises pour me permettre d’acheter le nécessaire de voyage. Nous avons parcouru la Palestine en train jusqu’en Egypte où nous attendaient le cinéaste Henri Barakat et Asia Dagher. A peine m’at-elle vue qu’elle félicita Qaïsar. Ainsi fut conclu le contrat de mon premier film. El Qalb lahou wahad fortement applaudi, fit de moi une star, de Barakat un célèbre cinéaste et d’Asia une grande productrice. J’y ai chanté Bichouach Ala Aklik composé par Riad el Soumbati et Arouh Ma Rouhchi de Zakaria Ahmad; j’y ai chanté le mawal égyptien pour la première fois. Il semble que je m’en suis bien tirée». JEANNETTE GEORGES FÉGHALI DEVIENT SABAH. «El Sabah, une revue artistique éditée par Mustapha el Kachachi, publia ma photo dans un sondage auprès de ses lecteurs en leur demandant de me choisir un surnom. Ils furent unanimes pour Sabah inspiré du nom du magazine; un surnom qui allait m’accompagner tout au long de ma carrière.

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© Archives Sabah

Sabah à l’âge de 16 ans.

On m’appela aussi la Chahroura en référence à mon oncle, le poète Chahrour el Wadi. Abdel Salam Naboulsi me surnomma Chams el Choumous, Saïd Akl, Helouat el Hélouayat,pour mon ex-mari Wassim Tabbara, j’étais Sit el Koll, enfin, mon mari Fadi Loubnan me choisit pour nom, Ghadat el Camelia». Justement, à propos des maris, elle affirme les estimer tous. «Je voue le plus grand respect au député Joe Hammoud. Mon grand amour fut Rouchdi Abaza; Fady Loubnan représente, lui, la sérénité de l’amour. Nagib Chammas , mon premier mari et le père de mon fils Sabah avait insisté que ce prénom soit porté par le nouveau né, garçon fût-il ou fille». Elle eut aussi pour mari, Anwar Mounsi, avec qui elle eut une fille, Houaïda. Elle épousera le Sheikh Ahmed Farraj. Ses mariages multiples résument sa philosophie particulière de la vie,forgée par ses longues expériences. Elle répète: «Oublie le passé; il est encore tôt pour demain» et «Souris àla vie; elle te rendra la pareille». Elle dit aussi: «Si je pouvais tout recommencer, je ne me marierais pas. Parceque le mariage et la famille arrachent l’artiste à son art auquel il se doit de consacrer sa vie et son âme». Elle ajoute après un long instant de méditation: «Je sacrifierais ma vie pour mon statut de mère. Mon art que j’aime par-dessus tout m’a permis de réaliser les souhaits de mes enfants, de les faire parvenir à la position convoitée. Etre leur mère m’a même encouragée à être plus star, surtout à leurs yeux».

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© Archives Sabah

Avec sa fille Houaida au Dog River.

L’ÉUXIR SECRET DE SON ÉTERNELLE JOUVENCE. «J’aime ma vie avec mon art; Je vis pour mon public avec amour et modération, je dois préserver cette image de moi que mon public a toujours chéri. Je ne bois pas, je ne fume pas non plus. Je butine comme un papillon. Je ne dors pas moins de huit heures par jour. La star doit aussi servir d’exemple à son public qui s’y attache comme à un symbole. Mes maris n’ont pu suivre le régime spécial que je m’étais établi et à travers duquel je respecte mon art. Faten Hamama, Farid el Atrache et Abdel Wahab faisaient de même. Ce dernier se couchait à huit heures du soir, se nourrissait de miel et de poulet bouilli». Son signe d’horoscope est celui de la superwoman, le scorpion; ses natives prennent toutes la vie à bras-le-corps. SABAH ET LES DISTINCTIONS. Des amitiés la lient aux grands de ce monde; rois, présidents et chefs l’ont honorée et lui ont décerné tour à tour d’insignes décorations. «La décoration dont je suis le plus fière est mon identité libanaise. Mon pays m’a notamment décerné l’ordre du Cèdre avec le titre de Commandeur». La cérémonie s’est déroulée dans un hôtel de Bhamdoun, il y a vingt-deux ans de cela. Ce fut Camille Chamoun qui se vit confier par le ministre Joseph Khater le soin de remettre à Sabah la distinction.

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© Archives Sabah

Le président Chamoun lui remet l’ordre du Cèdre avec le titre de Commandeur.

Le roi Hussein de Jordanie qui m’a offert une maison pendant les événements du Liban, le président tunisien Habib Bourguiba, le président du Sénégal Léopold Senghor m’ont tous honorée. Le président Anouar Sadat m’a aussi remis une décoration et je suis amie de sa femme Jihane». Le roi du Maroc, Hassan ll l’a accueillie un mois entier: il était souffrant et fit le vœu d’accueillir Sabah; il guérit et accomplit son vœu. Le roi ne la laissa pas retourner au Liban car la guerre de 1967 faisait rage. Sa mère proposa même à la chanteuse de s’établir au Maroc. Sabah s’est aussi vue remettre aux Etats-Unis les clés de dix-huit villes et a reçu tous les honneurs au Brésil. Le président Hafez el Assad lui a donné carte blanche quand il l’a vue chanter dans le programme international Le grand échiquier préparé par Jacques Chancel. «Le président Assad est comme un rêve, en ce sens qu’on ne peut I’atteindre. Il est le meilleur parrain qui soit pour tout véritable artiste dans le besoin. Le président Elias Sarkis … Nous étions amis d’enfance et voisins au quartier Sursock; il m’a giflée un jour que nous jouions à la marelle. Le président Amin Gemayel, lui, m’a remis une décoration au théâtre Abou Chacra». Son village l’a honorée en nommant sa place après elle. La rue d’un quartier de Hazmieh où réside Sabah porte son nom. Une autre distinction qui la comble de fierté: la médaille décernée par l’Etat de la Palestine. SABAH PIONNIÈRE DES CHANSONS LIBANAISES. Parmi les quelques 85 films tournés entre L’Egypte, le Liban et la Syrie, les plus significatifs demeurent pour Sabah, Al Ayadi el Naima de Toufic El Hakim, Chariel Hob et trois films en compagnie de Farid el Atrache: Izzaï Ansak, Lahen el Hob, Boulboul Effendi. L’on sait d’ailleurs que Sabah exigeait de présenter une chanson libanaise dans chacun de ses films, ce qui contribua à internationaliser la chanson libanaise. Notre chanteuse nationale eut le privilège de jouer dans le premier film égyptien en couleurs. Trois mille deux cents chansons à ce jour, un répertoire des plus prolifiques pour Sabah, l’étoile des festivals de Baalbeck et de el Kalaa, el Challal de Roméo Lahoud, Dawalib el Hawa, Mawsam el Izz des frères Rahbani et de la dernière en date Tadallou Bikhair. Nous lui sommes redevables d’avoir lancé le théâtre musical digne de ce nom. Mentionnons au passage quelques pièces Sit el Koll, Wadi Chamsine, el Jounoun Founoun. SABAH À TRAVERS LE MONDE. «J’ai chanté sur les scènes des salles les plus célèbres du monde en passant par le Carnegie Hall à New York, l’Olympia de Paris, le Palais des Arts en Belgique, le Palais des Sports, le Palais des Congrès puis l’Opéra House de Sidney et l’Albert Hall à Londres, la salle Pleyel de Paris, à Las Vegas … Elle garde, parmi ses meilleurs souvenirs, sa performance avec Mohammed Kehlaouiau Cinéma de Jérusalem en1944. La plus célèbre de ses soirées fut sans conteste Adoua‘ al Madina à laquelle prirent part les plus grandes vedettes égyptiennes dont Abdel Wahab, Abdel Halim Hafez, Warda, Fayza Ahmed, Fayda Kamel en compagnie desquels elle interpréta l’hymne national égyptien, composé par Abdel Wahab lors du mandat de Abdel Nasser. Elle dit d’ailleurs devoir beaucoup à l’Egypte: elle y est née artistiquement, elle y a mûri.

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© Archives Sabah

Sabah et Fadi Loubnan dans une scène du spectacle «Hello Cairo» à l’affiche trois ans d’affilée.

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