NOOR AL HUSSEIN

Prestige N 34, Mars 1996

Des doigts habiles se jouent des couleurs et des nœuds sur un nawl. Penchée sur son métier à tisser, une bédouine renoue avec la tradition et reprend un à un tous les gestes millénaires. Elle lève soudain les yeux et tend les bras. Une femme s’avance vers elle, très belle, toute simple de majesté. C’est elle! Les exclamations fusent dans l’atelier… Noor Al Hussein! Noor : «lumière» qui a révélé à la Jordanie sa plus grande richesse : son patrimoine.

Nour Al Hussein

© Prestige / Bassam Lahoud

Elle vous subjugue par la force de son charisme. Vous fascine par l’envergure de ses projets. Rencontre à Jerash avec sa Majesté.

Aéroport d’Amman. Littéralement un comité d’accueil, deux personnes en attente, dépêchées par le Palais Royal de Ma ‘wa, une troisième par l’ambassade du Liban en Jordanie. Une toute première impression de la Jordanie: la courtoisie, la discrétion. Dehors, les lumières d’une capitale qui ne dort pas. Vivante. Toute en maisons de pierre blanche, des trésors d’architecture. Pas de gratte-ciel mais un désir latent d’immensité. Le lendemain, la même personne, taciturne et aimable, nous conduit à notre première étape: Iraq AlAmir. Un village archéologique reconstitué, restauré, à une demi-heure d’Amman mais déjà profondément plongé dans la tradition.

Nous n’avons pas encore rencontré la Reine mais son œuvre est empreinte partout.

A l’intérieur de chaque habitation, une ruche bourdonnante d’activité et une délicieuse fraîcheur. Notre mentor: Awni Quandour, diplômé des States et directeur du centre.

Ici, on tisse avec bonheur, on reprend la production millénaire du papier-parchemin …

Le Ramadan ne ralentit pas le va-et-vient régulier des nawls sous l’impulsion gaie des filles du village. La présence des ordinateurs nous paraît à prime abord incongrue, mais la tradition et la modernité vont très bien ensemble. Notre rendez-vous avec le patrimoine de Jordanie se prolonge au Jordan Design and Trade Centre (JDTC). «Notre but c’est de continuer de créer, de créer tous les jours, quelque chose de différent.»

Propos de la directrice Claude Zumot, également diplômée en management des States. Et des idées, les designers du Centre n’en manquent pas. Originalité des notes modernes qui se veulent complémentaires de l’héritage des ancêtres. Motifs de mosaïque sur multiples œuvres, circonvolutions délicatement esthétiques d’un verre, vœux tracés sur une céramique Salsal. Nous apprenons, avec peine, à reconnaître les différents bsat et les appeler par leur nom car ils ont un nom comme toute pièce d’art. Des paysans d’Iraq Al Amir aux bédouins de Husseiniyé, toute la Jordanie se réveille à l’artisanat, à la culture. Qui en a donné l’impulsion? Une reine si dédiée à sa grande œuvre qu’elle nous a proposé, au lieu d’une interview classique, de l’accompagner à Jerash. ville historique qui comprend un grand centre artisanal. Départ à partir du Palais Royal de Ma‘ awa, sur la colline de Nuzha.

A Jerash, par chapelets devant et à l’intérieur de la Mairie, la foule attend sa reine, sa bienfaitrice. C’est là que, fascinés, nous comprendrons l’envergure de son projet, la force de son charisme, l’étendue de sa passion pour la Jordanie, de son engagement pour ce peuple venu lui rendre hommage.

Majesté, vous êtes architecte; en quoi votre formation a-t-elle contribué à la bonne mise en place de vos projets? J’ai choisi un major en architecture et planning urbain à l’université de Princeton parce que cela intégrait plusieurs disciplines qui ont été plus tard un grand atout pour mon travail en Jordanie. J’ai découvert qu’afin de construire pour un individu ou une communauté, il faudrait comprendre leurs besoins physiques, sociaux et spirituels et tenter de trouver des solutions à ces besoins. Dans un sens, vous pouvez dire alors que mon training à l’université m’a aidée à devenir un «architecte social».

«La femme peut devenir une force économique réelle dans sa propre communauté»

Qu’est-ce qui distingue l’artisanat jordanien de celui des autres pays? Les designs jordaniens reflètent la richesse de notre histoire et sont inspirés par les nombreuses cultures anciennes et contemporaines qui se sont épanouies en Jordanie. A titre d’exemple, les Nabatéens étaient célèbres pour leur fine céramique qu’ils exportaient à travers l’Orient. Nous produisons de la poterie du style nabatéen au centre artisanal de Salt qui peut être aujourd’hui vendue aux touristes.

D’autre part, le style bédouin est très particulier parce qu’il produit des tapis «à face lisse» car très denses; leur texture est différente des autres styles. Nos designers ont aussi introduit pour les tapis et la céramique des motifs inspirés des mosaïques. Les points de broderie sont typiquement jordaniens, par exemple le point Ma‘ani qui avait presque disparu jusqu’au jour où le JDTC l’a incorporé à nouveau dans ses produits. Une autre pratique tombée dans l’oubli et que nous avons fait renaître, les paniers d’osier de blé tressés à la main. Mieux, nous avons établi à Mukhaibeh un projet rentable pour le travail de l’osier de blé, de feuilles de palme et… de banane. D’autre part, la fondation a fourni aux femmes de nouveaux métiers à tisser ainsi que des rouets à filature pour accroître la productivité. Nous avons imposé un contrôle rigoureux de la qualité, depuis la matière brute jusqu’au produit final.

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© Prestige / Bassam Lahoud

Quelles sont les lignes principales des projets artisanaux? Je dirais principalement le tressage et la broderie ainsi que la céramique, les joyaux et le papier.

Existe-til une contribution de la jeune génération de la famille royale à la renaissance du patrimoine? Plusieurs jeunes membres de la famille soutiennent les programmes nationaux pour la préservation et la promotion de l’héritage jordanien spécialement dans le cadre du Festival de Jerasli pour l’art et la culture et le Conservatoire National de Musique et des projets pour l’Environnement.

Majesté, quelle est la contribution des centres artisanaux à la protection des monuments historique? Ces dix dernières années, j’ai encouragé le développement de ces centres hautement qualifiés dans les villages historiques de Jordanie proches des sites archéologiques afin de promouvoir l’artisanat et d’intégrer le développement socio-économique au tourisme. A Iraq Al Amir que vous avez visité hier, un site qui date du 2eme siècle av. Jésus-Christ, la Fondation Noor AI Hussein a rénové deux fermes et entamé la restauration de dix autres. Elle planifie de transformer ces fermes en un village d’artisanat qui préservera l’héritage culturel de la région et serait lié au palais hellénistique, ce qui encouragera le tourisme et augmentera le bénéfice économique de la communauté. La fondation s’efforce principalement d’ améliorer la qualité de vie des communautés déshéritées rurales et urbaines à travers la Jordanie en établissant des programmes intensifs dans le cadre de la santé, de l’éducation, du patrimoine, de l’environnement, du bénévolat et de la participation communautaire. J’ai aussi encouragé la restauration de villages historiques à proximité des sites archéologiques comme par exemple Taybat Zaman, à dix minutes de Petra. La Fondation et le ministère du Tourisme œuvrent de concert pour le upgrading des boutiques d’artisanat et des centres d’information touristiques.

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© Prestige / Bassam Lahoud

Au village d’Iraq Al Amir, des vestiges hellènes et arabes en voie de rénovation.

Dans le cadre de la renaissance artisanale, comment évaluez-vous les questions écologiques et quelles sont vos réalisations dans ce domaine? J’ai déjà mentionné le projet de tressage à Mukhaibeh qui symbolise l’effort de la Fondation déployé pour intégrer les questions écologiques aux projets de développement. Avant que la Fondation n’initie son projet, les fermiers là- bas coupaient et déracinaient leurs palmiers, envisageant d’autres cultures. Nous avons créé une demande et en résultat, les fermiers ont planté davantage de palmiers! D’autre part, le JDTC travaille sur le projet de recyclage des eaux afin de réutiliser l’eau dans les centres de traitement de la laine et de la teinture au sud de la Jordanie. Le JDTC a aussi amorcé des projets rentables à la réserve naturelle de Dana, dans un village abandonné du sud du pays. Les demeures historiques en pierre ont été restaurées et des activités mises en place. Actuellement, le JDTC vend de la joaillerie réalisée à Dana, à partir de pierres semi-précieuses de la région.

La plupart des projets artistiques et culturels ont-ils été réalisés? La Fondation Noor AL Hussein a-t-elle réalisé ses aspirations initiales? Oui, l’activité culturelle de la Fondation bat son plein. Juste après mon mariage, j’ai lancé, avec l’aide inestimable de volontaires jordaniens, le premier Festival de Jerash, aujourd’hui internationalement reconnu comme un carrefour d’échanges qui a contribué à la renaissance et à la dynamisation de l’héritage culturel et artistique. J’ai aussi amorcé durant les premières années de mon mariage l’Arab Children’s Congress qui rassemble des enfants de toutes les régions du monde arabe dans un climat d’entente, de tolérance et de solidarité. Le Conservatoire National de Musique » fondé en 1986, est l’unique à avoir un orchestre d’enfants. Son programme annuel comprend des concerts, des ateliers de travail et des conférences ainsi que des récitals qui mettent en scène des musiciens locaux et internationaux. Le Projet de Développement de l’Artisanat National, le JDTC et le centre de training à Salt sont trois programmes de la Fondation Noor AI Hussein. Ils ont réussi à stimuler la renaissance de l’héritage artisanal. Un autre projet affilié à la Fondation: le premier Musée des Sciences pour les enfants, qui les aide à comprendre les cycles écologiques et scientifiques de la vie. Les enfants peuvent toucher et manipuler les pièces exposées pour en savoir davantage sur le développement de l’ Homme à travers les âges, l’histoire naturelle, la géographie, les sciences, l’environnement, l’Espace et les diverses cultures dans le monde. Nous avons aussi mis sur pied un musée des sciences, mobile, pour les enfants des régions rurales. Celui-ci met l’accent sur la santé et l’hygiène, les sciences et la protection de l’Environnement et l’Histoire de la Jordanie.

Votre Majesté a participé il y a quelques mois à une conférence internationale à Paris. De quelle manière la Fondation œuvre-t-elle en tant qu’intermédiaire entre les organisations internationales et les institutions jordaniennes? Nous sommes associés à de nombreuses organisations des Nations unies et autres organisations dans les domaines de l’éducation, du développement de la femme et de la communauté, de la santé, du bien-être de l’enfant, de la culture et du patrimoine. La Fondation œuvre de concert avec 30 différentes organisations non-gouvernementales nationales et internationales, pour les aider à développer leurs plans, les assister à attirer les fonds internationaux et mettre leurs produits sur le marché, en particulier à l’étranger. Tout financement étranger reçu par la Fondation est versé à l’organisation à laquelle ce fonds est destiné.

A l’intemational carpet competition, un tapis jordanien Hweitat remporta le premier prix

Le JDTC prend-il déjà part aux principales expositions mondiales? Oui, le JDTC a déjà exposé ses produits en Europe, à Paris et à Francfort, et expose une fois tous les ans à Atlanta où l’un des tapis Hweitat a d’ailleurs remporté le premier prix au Concours International des Tapis. Et deux fois l’an à High Point-North Carolina, le plus grand marché d’ameublement et de décoration des Etats-Unis.

L‘Artisanat sera-t-il capable un jour de devenir une industrie auto-suffisante qui fera connaître l’art jordanien au monde? Les centres d’artisanat sont déjà auto-suffisants. En outre, à travers ses expos internationales et son marketing, le JDTC a déjà introduit l’artisanat jordanien au monde. Le JDTC est principalement un centre national de design et de commerce qui ne se charge pas de promouvoir uniquement les produits de la fondation mais aussi les œuvres des divers projets d’artisanat dans tout le pays.

Qui supervise ces centres? Quel est leur dénominateur commun? Ny a-t-il pas danger de concurrence entre les différents centres? La Jordanie a la chance d’avoir une grande variété de centres d’artisanat publics et privés avec lesquels le JDTC œuvre très étroitement soit du point de vue training et développement des produits ou du marketing local ou international. Le JDTC déploie tous les efforts pour réserver les droits de création des produits et des designs en vue de protéger les artisans. Quant aux centres d’artisanat de la Fondation, tous leurs directeurs sont des hommes ou des femmes de la région même, que le JDTC a recrutés et entraînés en vue de gérer ces centres. Ceux -ci ont tendance à se spécialiser dans différentes lignes de produits à  l’heure où le JDTC s’emploie à créer des «centres modèles».

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© Jordan Design & Trade Center

Tapis à face lisse exécutés par des Bédouines, coussins coordonnés, céramique reprenant la technique antique du Silsal.

Pour être engagées, les femmes doivent-elles au départ avoir une certaine compétence? Comment le projet de développement de la femme rend-il celle-ci une decision-maker? Si la femme possède déjà des compétences, c’est un plus, un atout mais ce n’est pas une condition essentielle à son recrutement. La qualité la plus importante, c’est l’engagement, la motivation. De plus, Je JDTC fournit le training nécessaire, technique ou de direction, et en ce sens, l’approche de la Fondation diffère de l’approche traditionnelle et souvent inefficace qui se borne à fournir une aide matérielle aux femmes.

L’introduction de programmes rentables, orientés vers les marchés locaux et internationaux, permet à la femme de devenir une force économique réelle dans sa communauté. Son statut et son influence s’accroissent ainsi que la qualité de vie globale de la communauté, parce qu’une femme ira souvent communiquer son savoir à toute sa famille. Le training des femmes est par conséquent la manière la plus rapide de réaliser des changements positifs dans le développement.

Comment les ouvriers sont-ils rémunérés? La plupart des artisans sont rétribués suivant la pièce qu’ils ont réalisée, les tisserands sont payés par mètre et les brodeurs par pièce. Quant aux directeurs des centres et quelques ouvriers, ils reçoivent un salaire mensuel.

Quel projet du JDTC a remporté le plus de succès? Ces projets de Nurha et de Rimoun qui emploient entre 150 et 200 personnes sont probablement les plus réussis car tous deux sont totalement indépendants. Le JDTC a amorcé ses projets à partir de zéro, fournissant tout le training.

A présent, les centres sont autogérés et opérés. Nurha, un centre de broderie, abrite trois autres centres sous sa supervision. Quant au centre de Rùnoun, il a été établi par le JDTC pour aider ces femmes à acquérir le savoir-faire et améliorer leur standard de vie tout en revitalisant l’artisanat jordanien. Le JDTC a par ailleurs introduit une innovation: un métier à tisser de 2 mètres de long qui produit des tapis couvrant toute une pièce, auparavant quasi-inexistants sur le marché jordanien.

Combien de personnes collaborent au JDTC? Depuis sa fondation en 1990, 3000 femmes et leurs familles en ont bénéficié.

Auriez-vous un programme spécial pour les jeunes même non surdoués, dans les régions rurales? L’université est-elle gratuite en Jordanie? L’université n’est pas gratuite en Jordanie, mais l’école l’est jusqu’aux classes complémentaires.

Le projet qui m’est particulièrement cher est la Jubilee School, école secondaire pour boursiers venus de toutes les régions du pays, en particulier, défavorisées. Elle se consacre au développement du potentiel intellectuel d’étudiants jordaniens en leur fournissant un procédé d’études unique et un curriculum fondé sur leurs propres besoins, capacités et expériences. Cette école, en collaboration avec des institutions privées et publiques, sponsorise plusieurs cours et trainings pour profs et étudiants dans tout le pays. Un autre projet que j’ai déjà signalé est celui de Salt qui offre un training gratuit de trois ans en tissage, production de céramique et poterie, tissage de soie, décoration ainsi que des cours de recyclage pour les trainers. D’autre part, les maisons SOS pour garçons et filles offrent des cours vocationnels pour les enfants et, en collaboration avec les villages SOS à Amman et Aqaba, créent un climat familial chaleureux pour les orphelins et les enfants abandonnés. En ce qui concerne les projets éducationnels pour les enfants des régions rurales, outre le musée mobile que j’ai déjà mentionné, la Fondation œuvre intimement en collaboration avec les autorités locales et des groupes bénévoles privés pour établir des clubs pour enfants à travers toute la Jordanie. Ils répondent aux besoins récréationnels, culturels, artistiques des plus jeunes. La Fondation soutient également la création de jardins  d’enfants et garderies dans les villages où ses projets «qualité de vie» sont exécutés.-

«Mes études à l’Université de Princeton m’ont aidée à devenir un architecte socia

Majesté, votre rêve cest l’hôpital des enfants. Quelles démarches ont été effectuées en vue de sa réalisation? L’Hôpital National des Enfants est un projet dont le peuple jordanien rêve depuis longtemps. Une fois sa construction achevée, nous espérons que cet hôpital sera le premier du Royaume à subvenir aux besoins des soins médicaux tertiaires, secondaires et quelques soins primaires des enfants de 0 à 16 ans. Cet établissement sera accessible à toutes les classes économiques de la population. L’hôpital ne sera pas uniquement un centre de pédiatrie mais aussi un centre éducationnel de pédiatrie, chirurgie, hygiène dentaire et disciplines scientifiques combinées. Il comprendra aussi un centre pour l’évaluation du développement de l’enfant et le traitement des paralysies cérébrales et présentera également un vaste programme-guide pour la famille. L’Institut pour la Santé et le Développement de l’Enfant est le premier et unique local spécialisé dans l’évaluation et le suivi de la croissance et du développement de l’enfant. Il sera affilié à l’hôpital et servira la communauté locale.

Majesté, vous aimez la photo. Avez-vous déjà organisé une exposition de vos œuvres? Malheureusement non, mais voilà encore un projet qui mérite réflexion! Propos recueillis à Amman par CHRISTIANE OBEID

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