Jacques Maroun: «Mes pièces sont osées»

Professionnalisme, nouveauté et talent animent le réalisateur, producteur, metteur en scène et fondateur de l’Atelier des Acteurs, Jacques Maroun. Amoureux inconditionnel du théâtre, diplômé de l’Université du Texas et de l’Ecole Actors Studio Drama de New York City, il présente au Black Box Beirut, son récent opus Al Wa7ech, une adaptation de la pièce Danny & the Deep Blue Sea de l’Américain John Patrick Shanley. Fidèle à son habitude, l’artiste livre ses impressions à Prestige.

 

 

 

 

Votre théâtre sort toujours des sentiers battus… Que raconte la nouvelle pièce Al Wa7ech? Danny & the Deep Blue Sea, baptisée Al Wa7ech, est une pièce à deux personnages, écrite en 1983. C’est une adaptation d’une pièce américaine de John Patrick Shanley, traduite par Arze Khodr. Dans un bar perdu du Bronx, deux personnages, Danny et Bertha, en l’occurrence Carole Abboud et Dory Samarani, se rencontrent la nuit dans leur solitude, sur fond de violence et de désespoir. Danny est impulsif et se bagarre en série. Roberta a un secret inavouable qui la prive de sommeil. Tous les deux s’observent, s’affrontent mais aucune violence ne suffit à apaiser leur haine. Alors, le temps d’une nuit, au rythme des mots et du corps, ils jouent à s’aimer, à se confier, à se pardonner, avec une tendresse désespérée…

Pourquoi ce titre, Al Wa7ech? Cette pièce me concerne personnellement. Lorsque je choisis une œuvre, je ne vise pas à attirer uniquement le public. Je suis un adepte du théâtre dur, sévère, que j’essaie d’acheminer ensuite vers le  grand public autant que possible. Le choix d’Al Wa7ech est un diminutif du titre original Danny & the Deep. C’est le nom du personnage de Dory, qui s’appelle effectivement Al Wa7ech.

La majorité de vos pièces sont une adaptation d’œuvres étrangères. Pourquoi? Personnellement, je ne suis ni romancier, ni dramaturge. Raison pour laquelle je me base sur des thèmes humains et universels, écrits par de célèbres dramaturges que j’apprécie et respecte. En 2012, Reasons to be Pretty était une adaptation de l’œuvre de l’Américain Neil LaBute. En 2014, Ka3eb 3aleh ou Spike Heels, était aussi une adaptation moderne de Pygmalion de George Bernard Shaw. En 2015, Vénus a été adaptée de la pièce «Venus in für» de David Ives. En 2016, Faradan inno était une pièce écrite par Alan Arkin. Et cette année, j’ai choisi Danny & the Deep Blue Sea, une adaptation de la pièce écrite par John Patrick Shanley.

Pourquoi avez-vous choisi cette pièce spécifiquement? En fait, j’avais rencontré John Patrick Shanley en 2012 à New York, alors que je me préparais à présenter la pièce Reasons to be Pretty. Je lui avais alors fait part de mon intention de présenter la pièce Al Wa7ech, d’autant plus que j’appréciais les textes de cet auteur oscarisé et très populaire aux Etats-Unis. Il est non seulement connu pour ses pièces de théâtre, mais aussi pour ses films à succès, à l’instar de Moonstruck ou Doubt. Son style est réaliste, direct et noir, avec une fluidité psychologique remarquable.

 

 

© Charles Cremona.

 

 

Avant l’ouverture officielle, vous avez convié le public à la représentation de la pièce dans le cadre de l’Atelier des Acteurs. Quelle en est la raison? The Actors Workshop a toujours ouvert ses portes aux étudiants et amateurs de théâtre, depuis sa fondation. Seule la présence du public y manquait. Comme j’ai toujours souhaité faire des «Soft Opening» avant l’ouverture officielle des représentations, nous avons décidé de convier le public à l’Atelier, qui est une maison artistique mais aussi un véritable laboratoire d’essai. Car ce genre de représentation nous donne l’opportunité de nous entraîner pleinement en sa présence, sans être critiqués, et de pallier les erreurs éventuelles. A New York, les pièces se jouent ainsi pendant un mois entier avant l’inauguration officielle. C’est une coutume culturelle occidentale qui permet aux acteurs de s’entraîner à fond devant le public.

Quelle sera, à votre avis, la réaction du public? J’ai décidé d’ouvrir une nouvelle page au sein de l’Atelier des Acteurs. A partir du moment où les portes du Workshop ont été ouvertes au public, ce lieu sera le sien. Ces sept dernières années, l’Atelier était mon domaine privé, ma scène artistique, mon refuge. Un espace de création et de coopération partagé avec mon équipe, mais aussi un lieu de rendez-vous des membres de l’Atelier, des étudiants et des acteurs. La responsabilité devient plus lourde en présence du public. J’ignore ce qu’il adviendra. Cet inconnu m’inquiète d’une manière à la fois positive et négative. Toutefois, une chose est sûre: je suis heureux de voir le public assister, évaluer le spectacle et découvrir une tout autre scène où évoluent ces deux acteurs méritants, Carole Abboud et Dory Samarani.

Vos thèmes sont profondément humains, allant jusqu’aux tréfonds de l’être. Est-ce bien le cas dans cette pièce? Dans cette pièce, deux personnages vivent dans la souffrance. C’est une tragédie, qui ne mène forcément pas à la mort. J’aime la tragédie, alors que le public préfère la comédie. Tout le Liban souffre. Dans cette pièce, nous soignons ce mal social à travers deux personnes de personnalités fortes, et de cultures identiques et différentes à la fois. La touche romantique de leur histoire d’amour, m’a profondément ému. J’apprécie cette forte romance tiraillée entre deux antagonismes. La tempête m’habite.

Votre théâtre est qualifié d’osé… Effectivement, mes pièces sont à mon image. Elles me ressemblent. J’aime l’aventure, les sujets tabous, osés. L’audace est une nouveauté apportée sur la scène théâtrale ou encore cinématographique. Auparavant, le metteur en scène était davantage classique, cherchant à travailler en sécurité.

 

 

 

© Charles Cremona.

 

 

 

Quelles sont les difficultés que vous appréhendez? La créativité jaillit souvent d’un artiste infortuné,  alors que la fortune est susceptible de le rendre moins productif. Un spectacle réussi et rentable l’incitera à présenter des pièces plus belles, et à engager plus de vedettes. Le gain artistique n’est pas mauvais. L’artiste a besoin d’argent pour pouvoir mieux se cultiver. Qu’il soit dédié au grand public ou à un autre plus restreint, le théâtre est un théâtre. Et celui qui évolue sur ses planches est un artiste. Seulement il y a un art commercial digne de respect et un art médiocre et banal. Mon théâtre reflète le respect que j’ai envers moi-même, envers le public, et envers les œuvres présentées.

La censure interdisait vos représentations aux moins de 18 ans. Qu’en est-il pour Al Wa7ech? Cette année, la censure m’a fait cadeau en interdisant la pièce aux moins de 16 ans. Nous tenons à lui soumettre la pièce avant chaque représentation, pour avoir l’autorisation de jouer. Un dialogue continu est établi avec les responsables pour annuler la censure sur les pièces de théâtre spécifiquement. Nous réclamons également la promulgation de lois qui seraient en phase avec notre culture populaire.

Huit ans sont passés depuis la fondation de The Actor’s Workshop. Qu’est-ce qui vous a poussé aujourd’hui à convier le public à l’atelier? L’Atelier est désormais doté de nouveaux équipements de pointe. Il en est de même pour l’éclairage. Un système d’isolation totale avec l’extérieur a été réalisé, ainsi qu’une isolation du son à l’intérieur. L’équipement de l’Atelier a nécessité du temps. Si la situation économique du pays était meilleure, notre industrie aurait été plus prospère. Propos recueillis par Mireille Bouabjian

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