Prestige N° 124, Septembre 2003

  

La cité fière qui osa défier Rome

Elle apparaît au loin, cette oasis, goûtant au petit jour sous la protection des montagnes, Jebel Hayyan, Jebel Mazar. La cité s’ouvre sur le désert. Un jardin de cinq cent mille oliviers, palmiers, grenadiers, ceint comme une couronne de lauriers la ville antique qui semble s’étendre à l’infini. Cité de cette héroïne d’hier, si actuelle aujourd’hui, Zénobie, amazone dont l’histoire touche au mythe, guerrière cultivée, femme d’Etat, courageuse, fière, femme adulée, adorée par son peuple, haïe par les romains qui l’admiraient autant qu’ils la craignaient. La citadelle de Fakhreddine el Maani se dresse tel un aigle. Le passé devient présent, l’histoire se réveille. Et le visiteur fasciné se laisse surprendre par la majesté du spectacle.

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© Prestige

A 320 km de Damas, à perte de vue, une oasis de 500.000 palmiers, oliviers, grenadiers… alimentée par des sources. A droite, le temple de Bêl, au loin le lac recueillant les eaux d’Efqa.

 

Ville courage, ville loyale, ville libre. Palmyre, principauté arabe marquera l’histoire autant que Pétra, et n’aura de cesse d’affirmer son visage indépendant et fier. Enviée, sollicitée de toutes parts, elle gardera sa constance. Lorsqu’Antoine, amoureux de Cléopâtre, enverra ses cavaliers à Palmyre pour la piller, les Palmyréniens traversent l’Euphrate avec leurs biens et postent leurs archers sur une falaise, les Romains trouveront la ville vide et s’en iront, dépités, sans combat… ni butin. Bien que la Syrie soit province romaine, Palmyre gardera toujours une certaine autonomie. Les Palmyréniens fourniront d’ailleurs à Rome une aide militaire: fantassins, cavaliers, méharistes… L’empereur Hadrien qui tombe sous le charme de la cité, lui accorde le statut de «ville libre», relevant d’un curateur local. Palmyre devient Palmyra Hadriana. Commence son âge d’or. De l’Inde et la Chine, sur la route de la soie, jusqu’à l’Italie, elle hérite du commerce de Pétra, et prospère.

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© Prestige

A partir de l’arc de triomphe à Palmyre, vue de la citadelle de Fakhreddine, prince du Liban, à qui fut attribué l’édifice, étant le dernier à y avoir résidé.

Encore… un hasard heureux. L’empereur Septime Sévère épouse Julia Domna, fille du prince-prêtre d’Emèse (Homs). Leur fils Caracalla confère à Palmyre le titre de colonie romaine, exemptée de l’impôt foncier. Elle prend alors son essor, s’impose comme l’une des plus belles villes d’Orient. Hélas, quand la dynastie sassanide s’installe sur le trône de Perse, l’itinéraire des caravanes sera détourné vers le Nord. C’est le déclin de Palmyre jusqu’à… l’avènement des Odainat.

37APM Plafond du sanctuaire sculpté dans un seul bloc, ciselé avec une perfection extrême, les fleurs symbolisant les astres. © Prestige 37CPM Au-dessous des colonnes à chapiteaux corinthiens, le portail des offrandes et des sacrifices par où les animaux étaient menés à l’autel. De part et d’autre, se trouvaient des gradins où s’installaient les Palmyréniens lors des cérémonies. © Prestige

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une seule femme face aux romains: Zénobie. Vers le IIIe siècle, pour sauver son commerce, Palmyre adopte une stratégie d’indépendance; une famille arabe jouera un rôle déterminant en ce sens: les Odainat anoblis par les Romains pour leur avoir porté main forte, Odainat lui-même a arraché l’empereur Valérien des griffes perses. Nommé gouverneur de la province de Syrie, il est récompensé par Gallien qui lui confère le titre de Dux Romanorum, général en chef des armées d’Orient. Palmyre jubile. Inconsciente du drame qui l’attend… Odainat est assassiné. Ainsi que le prince héritier Hérodianus. Le cousin Maeonus se proclame empereur puis il est assassiné à son tour. Une femme s’avance, et sauve la situation du chaos. Main de fer dans un gant de velours: Zénobie, épouse d’Odainat, prend le pouvoir au nom de leur fils Wahballat. Véritable femme d’Etat, elle a du charisme, du caractère, du courage, de la culture, surtout en affaires politiques. Elle parle couramment l’araméen, le grec et l’égyptien, prétendant descendre de Cléopâtre. Zénobie est férue d’histoire, lie amitié avec l’évêque d’Antioche Paul Samotase, et fait du philosophe grec Longin son conseiller. Cavalière émérite, cette amazone accompagne ses troupes en de longues chevauchées.

37A-38DPM La particularité de Palmyre, c’est la sculpture typique à caractère oriental qui remonte à plus de deux mille ans. Dimension naturelle, beauté et vigueur du trait. On croirait l’art palmyrénien comme une assimilation de l’art gréco-romain mais en regardant attentivement, il est évident qu’il doit beaucoup aux traditions syriennes et mésopotamiennes, surtout pour les bas-reliefs, malgré plus de deux siècles d’occupation romaine. © Prestige 39CPM L’allée des colonnades qui marque le tracé urbain romain traditionnel: le cardo maximus, d’environ 1.200 m de long, tout bordé de portiques. © Prestige

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle harangue les foules à la manière des empereurs, coiffée d’un casque, revêtue de pourpre. Teint mat, yeux de braise, intenses, contrastant avec des dents perle. Elle incarne beauté, noblesse et intelligence. Zénobie est sans conteste l’une des grandes femmes de l’histoire. Est-il ­surprenant qu’elle ait nourri la légende? Son fils étant mineur, Zénobie exerce la régence. Rome ne réagit pas. Mais lorsque les armées de Palmyre, sous les ordres du général Zabda, envahissent l’Egypte… l’empereur Aurélien pâlit face à l’affront. En fait, Zénobie veut s’assurer la voie des Indes par le Nil et la Mer Rouge. Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là. Ses troupes se tournent et touchent le Bosphore.

41BPM C’est la solide réputation de protectrice de caravanes qui valut à Palmyre sa prospérité. Les caravanes en provenance de Chatt el Arab et du Golfe préféraient donc emprunter cet itinéraire sûr sous contrôle des vigiles avec l’escorte palmyrénienne envoyée à leur rencontre. Les marchandises des Indes parvenaient à quai parfois à bord de navires palmyréniens © Prestige 41B-42APM L’amphithéâtre romain de forme semi-circulaire, diamètre 20m, 10.5m de profondeur, 3 portes, 13 rangées de gradins. Dominant l’Agora, et le Sénat, cet amphithéâtre est l’un des plus importants du Proche-Orient. Il a été dégagé en 1952. © Prestige

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aurélien furieux  lève son armée et fait une entrée triomphale à Antioche. Zénobie pousse plus loin l’audace et proclame son fils Auguste, revendiquant ainsi tout l’Empire Romain. Elle fait frapper une monnaie à son effigie et celle de son fils. Mais les Palmyréniens accumulent défaite sur défaite. Aurélien envahit Emèse, exprime sa gratitude au dieu Sol Invictus auquel il voue un vibrant culte. Malgré les embuscades des bédouins, la chaleur écrasante du désert, Aurélien atteint Palmyre que Zénobie a fait fortifier en toute hâte pour résister au siège. Aurélien soudoie tous les alliés potentiels de la reine… Justement Zénobie qui refuse toute reddition, se glisse en secret hors des murs de Palmyre pour se rendre chez le roi perse et demander du secours. Au moment où elle s’apprête à embarquer sur l’Euphrate, elle est démasquée et arrêtée par les Romains. Privée de sa reine, épuisée par un long siège, Palmyre capitule. Qu’est-il advenu de Zénobie? Morte en chemin parce qu’elle refuse de s’alimenter? Décapitée après une parade à Rome, dans sa toge de reine, mains liées par des chaînes d’or? Une version romantique veut que Zénobie ait fini ses jours en exil à Tivoli, adulée par un tribun romain, tombé fou amoureux d’elle. Une fois de plus, la légende se mêle à l’histoire.

Palmyre se réveille  à l’époque omeyyade, malgré les revers de fortune et séismes, elle alterne les périodes de prospérité avec les Omeyyades, les Ayyoubides, les Seljoukides. L’historien Fadlallah décrit au XIVe siècle, ses splendides maisons, ses jardins, son commerce. Le déclin de la ville s’accélère à l’époque ottomane. Palmyre n’est plus qu’un village à la merci des tribus nomades que les voyageurs Woods et Dawkins découvriront en 1751, les yeux incrédules. A ce jour, Palmyre n’a pas encore dévoilé tous ses secrets.

Les «Maisons d’Eternité», d’une grande beauté sont particulières de Palmyre: tombes-maisons, tombes souterraines ou hypogées et… tombes-tours!

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© Prestige

Les images des défunts sont peintes dans des cadres circulaires, portées par des Victoires debout sur des sphères. Mythologie avec Achille représenté avec deux filles de Lycomède, roi de Scyros. Au plafond, le jeune Ganymède enlevé par l’aigle de Zeus, symbole de l’âme emportée dans l’au-delà.

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Nicolas G. Hayek

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