Miss Dior

Prestige N 260, Mars 2015

Anton Corbijn

raconte le tournage du film Miss Dior, «It’s Miss actually»

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© Christian Dior Parfums

Venu d’un monde austère de pasteurs, le réalisateur et photographe hollandais Anton Corbijn a acquis aujourd’hui une réputation internationale. Evoluant d’une musique évasion à la photographie et aux clips vidéos, il raconte à Prestige son dernier opus, Miss Dior, tourné sur la Côte d’Azur avec Natalie Portman. Plongée dans un univers différent et fascinant.

Votre film Miss Dior est vraiment réussi, très surprenant! Pour moi, la version longue est la plus intéressante. Elle est authentique parce qu’elle mixe des niveaux de réalité en alternant la couleur et le noir et blanc. Elle est complexe, elle mélange aussi des niveaux de temporalité différents grâce au montage.

Avez-vous apprécié le tournage sur la Côte d’Azur? Avez-vous aimé la lumière, le soleil? J’ai eu l’occasion dans ma carrière d’aller dans le sud de l’Europe, plus précisément au Portugal, pour des séances photos. J’avais déjà beaucoup aimé l’atmosphère et la lumière là-bas. La lumière du sud de la France est particulièrement belle, riche. Je me souviens surtout de la beauté du soleil couchant lorsque nous avons tourné la dernière scène sur la falaise avec l’hélicoptère. Cette lumière était incroyable. J’aime filmer en pleine lumière certains plans, certaines choses. Mais, vous savez, je préfère plutôt filmer mes sujets dans l’ombre… Je suis plus connu pour ça, filmer dans des tonalités sombres, comme je l’ai toujours fait. Quand j’ai commencé la photographie dans les années 70, je faisais pourtant l’inverse. Je prenais les gens avec une lumière frontale, en plein sur leur visage! Mais il est arrivé un moment où j’ai changé, et j’ai opté pour l’ombre, le sombre. Cela donne plus de grain à l’image, et c’est ce que j’aime quoi qu’il en soit.

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Depuis vos premiers films, des vidéo clips jusqu’au choc esthétique de Control, vos images ont évolué mais sont restées dans un certain style, propre à votre univers. De ce fait, lorsque votre film pour Miss Dior a été annoncé, quelle surprise! Comment vous êtes-vous plongé dans un univers qui n’est pas le vôtre «naturellement»? Il faut déjà que je vous dise que c’est la première fois que je réalise une publicité, un film commercial. C’est la première fois que j’accepte car cela m’intéressait de me plonger dans un univers différent du mien, lié à une maison de luxe, au parfum. J’ai autour de moi des proches qui sont liés à la mode. Ça m’intéressait de rentrer dans cet univers en faisant un film. J’ai vraiment voulu faire de Miss Dior un personnage à part entière, une héroïne.

Pouvez-vous nous parler de l’histoire? Elle quitte son mariage, certes, mais on pourrait presque interpréter l’histoire dans une perspective œdipienne, à savoir que c’est son père qu’elle laisse planté là! (Rires) Oui, mais pas seulement son père à mon sens! Elle quitte sa vie tout entière, symbolisée par son père. L’histoire parle d’une échappée, du fait de s’évader de tout ce qui vous entrave dans la vie. S’évader de tout ce qu’on ne peut plus accepter. Dans cet esprit-là, je trouve notre choix de la chanson «Piece of my heart» de Janis Joplin vraiment formidable. Je trouve que c’est essentiel d’avoir cette voix, ces paroles sur le film. D’ajouter finalement une perspective féminine sur mon film.

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Quel est le lien pour vous entre les images et la musique? Depuis vos débuts, vous avez toujours été lié à la musique… A la fin de la quarantaine, je me suis posé la question de savoir pourquoi j’étais toujours autant obsédé par la musique que j’écoutais lorsque j’avais 14 ans. Pourquoi est-ce que je n’évoluais pas? Je suis retourné sur l’île hollandaise où je suis né, pensant trouver une réponse. Mais rien ne m’est apparu… Depuis toujours, il me semblait que le monde auquel je voulais appartenir était différent… J’ai vécu dans un univers profondément religieux. Rien n’y était vraiment inspirant.. Mon père était pasteur, tout comme l’ont été mon grand-père et mon oncle.  C’était un monde sévère, austère. La musique était une évasion. Nous n’avions pas la télévision. Je me souviens du jour où les Beatles sont venus en Hollande, une vraie révolution! On pouvait sentir que la société était en train de changer. J’ai pris quelques clichés avec l’appareil photo de mon père à une ouverture de concert. C’est là que j’ai su que c’était ce que je voulais faire, être au plus près de la musique. Je ne connaissais rien à la photographie, puis c’est devenu ma vie dès les années 70-80. A la fin des années 70, je suis allé en Angleterre. Je suis devenu un «Portrait and Life Photographer». Puis, au début des années 80, j’ai commencé à réaliser des clips vidéos. La musique comptait tellement pour moi! Je voyais trop de mauvais clips vidéos qui gâchaient des chansons géniales… J’aimais tellement la musique que j’ai voulu faire des images qui avaient un sens. Je voulais qu’elles accompagnent réellement la musique, le son, et pas seulement qu’elles illustrent platement les paroles.

A propos des femmes… La plupart de vos personnages dans vos films sont des hommes très intenses, sombres, mystérieux. Les femmes sont en arrière-plan et pourtant vous les filmez avec beaucoup de délicatesse, de nuances aussi. Vous filmez Miss Dior, Natalie Portman, de la même manière c’est-à-dire en la «détaillant», en allant chercher des choses subtiles. A quand un film sur une femme? (Sourire) Pas le prochain… A nouveau, c’est un film sur un homme. Peut-être est-ce parce que je suis un homme? C’est plus facile…

Le fait de choisir du noir et blanc ou de la couleur a toujours du sens dans vos images. Pour Miss Dior, vous avez mélangé les deux. Est-ce que pour vous, le noir et blanc réfère à la réalité et la couleur renvoie à l’évasion, au rêve? Oui, c’est ça. Mais cela reste ouvert à tout autre interprétation. C’est assez singulier car la couleur est censée incarner la réalité alors que pour moi, le noir et blanc c’est le réel. Comme je ne filme pas en digital, je devais choisir avant le tournage de Miss Dior! Lorsque je shoote en couleurs, je suis toujours curieux de voir le résultat. Pour le noir et blanc, je sais toujours ce que je vais obtenir. Le noir et blanc, c’est comme une seconde nature pour moi…

Vous êtes aujourd’hui un réalisateur et un photographe mondialement connu. Beaucoup de stars hollywoodiennes veulent travailler avec vous. Comment gérez-vous le fait de passer de la solitude du photographe aux énormes équipes de tournage de films? C’est une bonne question, car ce sont deux styles de vie vraiment différents. Je suis timide de nature, et dans ce sens, c’est la photograhie qui me convient le mieux. Elle me permet de rencontrer des gens, mais de façon plus intime, plus privée. Sur un tournage de film, je suis obligé de contrarier mon penchant naturel. Mais cela reste une expérience incroyable que de réaliser quelque chose avec une équipe entière. Pour Miss Dior, l’équipe était formidable, le shooting s’est passé dans des conditions très agréables: un endroit agréable, une lumière idéale en permanence.

Dans le film Miss Dior, la nature est splendide. Lorsque Natalie Portman court, on dirait qu’elle vole sur un tapis de verdure! Oui, en ce qui me concerne, la nature est plus facile à filmer qu’à photographier dans des natures mortes. Surtout en noir et blanc, c’est particulièrement difficile. Certains artistes arrivent à faire des choses magnifiques comme Sabastiao Salgado, le photographe brésilien, qui est pour moi un maître de la nature morte en noir et blanc. Ses paysages sont grandioses. La nature est difficile à photographier pour moi parce qu’on peut se perdre dedans. Dans un film, le mouvement me permet de clarifier cela. Pour l’anecdote «naturelle», nous avons trouvé un serpent juste avant de tourner cette scène de la course… (Rires)

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© Christian Dior Parfums

Pour son premier film publicitaire, ce fut un coup de maître.

Et la photo où on voit la doublure de Natalie Portman avec «Jack Kerouac» tatoué sur l’épaule? Oui, celle-ci est très bien aussi. L’esprit libre de la Beat Generation!

En parlant de liberté, est-ce que Miss Dior est pour vous l’incarnation d’un nouveau féminisme? A l’image de jeunes popstars actuelles comme Beyonce ou Nikki Minaj qui se réclament d’un nouveau féminisme? Oui, c’est intéressant de voir que ce sont des femmes adulées par les hommes, en ce sens qu’elles projettent une image que les hommes aiment et veulent voir. Mais elles disent pourtant qu’elles sont des féministes. C’est difficile à dire… Pour moi, cela reste la vision des hommes. Ce qui est formidable à propos de Janis Joplin par exemple, c’est que sa vision en tant que femme prévaut. Mais quoi qu’il en soit, c’est une bonne chose que le débat «féministe» réapparaisse. Il y a quelques années, j’ai fait le portrait de stripteaseuses en collaboration avec l’artiste-peintre sud-africaine Marlène Dumas. J’ai travaillé avec elle sur des peintures qu’elle avait réalisées à Amsterdam. J’y ai inclus des mots en 4 lettres, qui suggèrent habituellement quelque chose de sexuel (Fuck etc..). Mais je leur ai substitué des mots en 4 lettres que j’ai imaginés dans la tête de ces femmes comme Home, Baby, etc…

Pour conclure sur Miss Dior, revenons à son créateur Christian Dior. C’était un homme aimable, doux et plein de vie. Ce parfum lui a été inspiré par sa sœur Catherine. Lorsque Christian Dior disait vouloir rendre les femmes heureuses, ce n’était pas rien.«Bonheur» n’était pas un mot vide pour lui. Je ne connaissais pas cette histoire. C’est encore mieux comme ça… De toute façon, le mot «bonheur» est galvaudé. Comme un état d’esprit exagéré… Souvent cela signifie que les gens ne veulent se préoccuper de rien. Pour moi, c’est tout le contraire. Le bonheur est un état d’esprit vers lequel je dois me diriger tout en souhaitant au fond de moi ne jamais arriver vraiment à destination…

 

 

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