A Bâtons Rompus avec Claudine Aoun Roukoz

Prestige N° 286, Oct-Nov. 2017

 

Je dirais d’elle qu’elle est sympathique, spontanée et chaleureuse. Grande, les cheveux dorés et les yeux clairs. Un visage de poupée de porcelaine. Si physiquement elle est le portrait craché de sa mère, elle est bien la fille de son père, côté personnalité cet homme exceptionnel, le président-général Michel Aoun. Charismatique Claudine Aoun Roukoz, elle a du bagout et n’hésite pas à faire face aux défis. Fonceuse, un tantinet frondeuse, cette mère de cinq enfants, qui porte plusieurs chapeaux et jongle avec plusieurs fonctions, ne se laisse pas démordre. Elle connaît la réalité du terrain, et son leitmotiv, être au service des autres et essayer de gommer les injustices. Son rêve? Un pays vert où il ferait bon vivre. Son ambition? Continuer à flirter avec la politique, car le devant de la scène c’est son père qui l’occupe et puis aussi, qui sait, un jour peut-être son époux, le général-commando Chamel Roukoz. Attachante Claudine Aoun Roukoz, car authentique, sans chichis ni fioritures. Je la verrai bien en meneuse, sa positivité, son aspiration au bonheur déteint sur les autres. On est sous le charme. Entretien à bâtons rompus avec une femme intelligente bien de chez nous.

 

 

Claudine au Bal du Cèdre organisé au palais présidentiel d’été à Beiteddine, en soutien au service pédiatrique de l’hôpital de la Quarantaine à Beyrouth. ©Archives Claudine Aoun Roukoz

 

En quoi consiste exactement la fonction de Conseillère personnelle du président de la République? Au fait mon titre exact est: Assistante spéciale du président. Je l’assiste dans plusieurs projets et dossiers, comme la communication et l’organisation des événements qui se déroulent au palais, ainsi que l’étude des dossiers et leur coordination, notamment pour ce qui a trait à l’environnement. La loi sur la protection des animaux a été approuvée, nous travaillons à l’application de la loi et des réglementations relatives à la chasse dont la saison va bientôt débuter, pour la première fois depuis 20 ans. Concernant la protection des oiseaux migrateurs, le Liban a signé des conventions internationales et je veille à ce qu’elles soient respectées. Je préside également la Commission Nationale de la Femme Libanaise qui défend ses droits au niveau des lois. Nous préparons des projets de lois suivis au Parlement, des campagnes de communication, des sessions de formation aux juges ainsi qu’aux assistantes sociales. Etre assistante spéciale du Président englobe un large éventail d’activités, qui touche tous les domaines.

 

 

Claudine avec son père, le président-général Michel Aoun. © Archives Claudine Aoun Roukoz.

 

«Chacun doit avoir une mission dans la vie. Moi j’ai la mienne.»

 

En tant que présidente de la Commission Nationale de la Femme Libanaise, quels sont vos principaux objectifs? Nos principaux objectifs visent à assurer les droits de la Femme et son égalité avec l’Homme à tous les niveaux. A travers les lois et leur application, ou dans le cadre du travail et des relations professionnelles. Des droits relatifs à la violence qu’elle subit, à l’interdiction du mariage des mineures, à son droit à la sécurité sociale et à bénéficier des mêmes avantages que l’homme, et au droit de donner la nationalité. Enormément de causes sont à défendre. Le Liban a émis des réserves à la CEDAW (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes-article 17), qui ont trait à la nationalité et au statut personnel. Nous travaillerons à les enlever.

La participation de la Libanaise à la vie politique est très faible que ce soit au niveau de la représentation législative ou de l’exécutif et même au sein des différentes formations politiques. Des pays comme la France et l’Argentine ont institué la parité avec un grand succès, ne croyez-vous pas qu’il est temps de suivre l’exemple? Ne serait-ce pas la solution? Au niveau de la parité, nous ne l’avons pas eue, malgré notre bataille en ce sens, et nous ne l’avons pas obtenue dans la Loi électorale. Une coalition présidée par la Commission et formée de toutes les ONG concernées par le rôle de la femme dans la vie politique, a été constituée. Mais la loi a été promulguée et les femmes n’ont pas obtenu le quota réclamé. Je suis en train de travailler pour booster les femmes au sein des partis, afin de créer un mouvement et d’imposer les candidates, indépendamment du choix ou du refus des partis. Les femmes pourront exprimer leurs ambitions et décider de participer au Parlement ou au gouvernement. Cela doit absolument commencer à bouger. Nous sommes censées avoir beaucoup de candidates aux législatives. Et créer l’ambiance propice à leur candidature. La parité est un combat de très longue haleine, même en Europe jusqu’à présent, elle n’est pas totalement assurée dans les milieux professionnels.

 

 

Claudine, présidente de la Commission Nationale de la Femme Libanaise et des membres de la Commission avec le président Michel Aoun . © Archives Claudine Aoun Roukoz

 

Le Liban souffre du départ de ses jeunes, surtout des diplômés, à cause du manque de débouchés et de la situation économique statique. Comment leur redonner confiance en leur pays et les inciter à y rester et à y investir? Vous-même vous avez étudié en France à la Sorbonne et vous êtes revenue créer votre entreprise Clémentine. Le marché du travail au Liban a été de tout temps limité. C’est un petit pays et l’évolution démographique fait qu’il n’y a pas de débouchés. C’est l’une des raisons mais pas la seule. L’une des solutions serait, à mon avis, la décentralisation. Je ne suis pas une experte en économie, ni en finances, mais je sais qu’il faut développer les régions et les petites localités afin que leurs habitants y restent et y vivent décemment et dignement. De nombreuses dispositions économiques sont évidemment à prendre, avec l’aide des experts dans ce domaine. Pour en revenir aux débouchés, nous avons besoin d’un plan économique et de mesures appropriées, pour savoir quels sont les domaines aptes à être développés. Les universités doivent également orienter nos jeunes dans le sens de la demande du pays. J’ai fondé ma société, c’est venu d’un besoin. J’avais préparé la campagne du Tayyar en 2009, qui a eu beaucoup de succès. L’agence a été ouverte en réponse à une offre, à une demande, à une part du marché.Mais quand même cela n’a pas été facile.

Adolescente, vous avez vécu des moments terribles, le siège du palais présidentiel, les bombardements, le chemin forcé de l’exil… Quelles ont été les conséquences de cette épreuve? A-t-elle forgé la personnalité de celle que vous êtes aujourd’hui? Oui, j’avais 18 ans quand nous sommes partis. Nous avions vécu deux ans sous les bombes au palais avec mon père. Comme tous les Libanais, notre jeunesse s’est déroulée dans les abris. Des moments terribles partagés avec tout un peuple. Nous en sommes sortis par la grâce de Dieu. Nous avons gagné en maturité et en spiritualité. Les choses matérielles n’ont plus la même importance, nous nous attachons plutôt aux moments, aux personnes que nous aimons, à bien faire. Il est nécessaire d’avoir une mission dans sa vie pour la remplir, pour ne pas vivre dans le vide. J’ai une mission, un combat, une motivation pour vivre. Les expériences forgent la personnalité. J’étais très timide dans ma jeunesse, mais tout ce par quoi je suis passée à mon âge tendre m’a permis de gagner en force, de faire face et de ne pas avoir peur.

Vous formez avec vos deux sœurs un trio soudé et complémentaire. Votre père a dit de vous que vous êtes son bras et que votre sœur aînée Mireille est son cerveau alors que la benjamine Chantal est son cœur. C’est quoi de faire partie d’une fratrie exclusivement féminine? Je suis très, très contente de faire partie d’une fratrie féminine. C’est ma fierté. Mes sœurs sont une partie de moi. Nous avons vécu ensemble et partagé les plus beaux moments et les plus douloureux aussi. Nous nous sommes soutenues mutuellement, pour le meilleur et pour le pire. Je n’ai jamais senti le besoin d’avoir un frère. Nous avons bien tenu la route, et je suis très épanouie entre deux sœurs. Les qualités dont parle notre père nous caractérisent. Mireille est la cérébrale, la plus cultivée. Moi je suis forte, dynamique et active. Je prends les devants. Chantal est la plus douce, la plus câline, avec un immense cœur, plein de tendresse et d’humanisme.

 

 

Les trois sœurs, Claudine, Chantal et Mireille Aoun. © Archives Claudine Aoun Roukoz

 

«Je suis fière d’appartenir à une fratrie féminine.»

 

Vous êtes une femme multiple, qui a plusieurs cordes à son arc. Chef d’entreprise, militante, épouse et mère de cinq enfants. Comment se déroule une journée type de Claudine Aoun Roukoz? Une journée type c’est au fait être sur la brèche, non-stop. Chaque seconde, chaque minute, compte. Je réponds à un message, j’appelle pour suivre une affaire, je rédige mon courrier. J’assiste à des meetings, des entretiens. Je tente de répondre aux attentes des gens. J’essaye d’aider autant que je peux les personnes qui sont traitées injustement, lésées dans leurs droits ou dans les formalités. Je le fais par amour de la justice. Une journée type est une journée très chargée pour moi, mais ce n’est pas pour me plaindre. Je le fais parce que c’est ce que j’aime faire.

 

 

Claudine avec ses enfants autour du président Michel et Nadia Aoun. © Archives Claudine Aoun Roukoz.

 

 

Vous êtes aussi une fervente écologiste. Au Liban ce secteur est en friche. Que ce soit au niveau de l’Etat ou du comportement du citoyen. Comment remédier à cela? Oui, je suis une fervente écologiste. Dès sa naissance l’être humain veut respirer, manger. Sa santé est tributaire de l’environnement dans lequel il vit et évolue. L’environnement est une culture. Nous avons un problème à deux niveaux: le citoyen qui n’est pas éduqué à respecter l’environnement, à être propre, celui qui jette des choses dans la rue, pour ne parler que des choses basiques. Et aussi un problème dans l’application des lois relatives à l’environnement. Que ce soit à propos des carrières, des sablonneuses, du ramassage de la poubelle, de l’assainissement, des zones à protéger ou de la pollution des eaux. J’ignore toujours pourquoi il y a un manque de stations d’épuration qui fonctionnent, depuis la création du Liban, et tous les égouts sont déversés dans la mer. De nombreuses questions pendantes n’ont jamais été résolues. C’est dommage. Nous faisons de notre mieux pour améliorer les choses. Les centres d’assainissement de l’eau ont commencé à fonctionner dans plusieurs endroits. Un grand projet de réforme est nécessaire. L’environnement est un problème à deux niveaux, comme vous l’avez dit. La question est bien posée. Le citoyen doit être responsable et respecter les lois qui sont promulguées. L’Etat aussi a un travail de gestion et d’application à faire. Comment y remédier? A travers des campagnes d’information des citoyens, ainsi que l’éducation dans les écoles, une communication à ce sujet. L’Etat doit faire son travail, se charger des projets qui nous permettront de préserver notre environnement.

Votre époux, le général Chamel Roukoz compte se lancer dans la politique, briguant un siège de député. L’encouragez-vous dans cette voie? Pourquoi? Ne seriez-vous pas tentée de la suivre vous-même? Oui, c’est un fait. Il ne se lance pas dans la politique autant qu’il continue un peu sa vie de militaire. Il a toujours été dans le secteur public et servi son pays, son peuple, en tant qu’officier. Il l’a fait au niveau de la sécurité, il continue à le faire dans la vie publique. Il aime les gens, il est très proche d’eux, et il est très attaché à son pays. Je l’encourage bien sûr dans cette voie. Pour ma part, je ne serais pas tentée par la politique, je suis en plein dedans. Il n’est pas nécessaire d’être député pour œuvrer et servir son pays. J’assiste mon père, qui est le président de la République. C’est un travail absorbant, utile et efficace. Je sens que je suis très bien là où je suis.

 

 

Général Chamel et Claudine Roukoz, un couple qui se complète. © Archives Claudine Aoun Roukoz.

 

 

Quels sont vos hobbies? Le yoga, la marche en montagne, la randonnée, la natation, la lecture aussi. J’adore lire. Mon plus beau hobby est d’être dans la nature.

Et vos rêves? Mes rêves… J’en ai réalisé quelques-uns. Je rêvais de fonder une famille, j’ai cinq enfants. J’ai vécu une très belle histoire d’amour, j’en rêvais et je l’ai vécue. Je rêvais d’avoir une maison, j’en ai deux, en ville et à la montagne. J’ai fondé ma société. Il me reste un rêve celui de vivre dans un pays propre, parmi des gens civilisés, entourée de fleurs et d’arbres. D’un pays vert.

Comment vous projetez-vous dans l’avenir? Je me projette dans l’avenir dans ce que je suis maintenant. J’ai déjà réalisé beaucoup de projets. L’avenir pour moi, c’est le présent, je me bats et je continuerai à me battre pour mes convictions, pour mon pays, pour rendre les choses plus belles et meilleures.

Vous n’avez pas hésité, par amour, à surmonter des obstacles et à relever des défis. Vous considérez-vous comme une femme passionnée? Comment vous définissez-vous? Oui je suis une femme passionnée, en amour. Je suis aussi une femme active, j’aime les belles choses et la positivité. Je cherche à mettre l’accent sur les belles choses que je prends en photo pour les partager sur mes réseaux sociaux. J’essaie de ne pas être négative, de critiquer pour critiquer, mais d’être plutôt constructive. J’aime que ma présence fasse plaisir aux personnes autour de moi, les amuser. J’aime répandre du bonheur. Comment me définir? Je ne sais pas, c’est à vous de le dire.

 

 

Claudine et son époux, le général Chamel Roukoz portant leurs enfants. © Archives Claudine Aoun Roukoz

 

«Je vis la belle histoire d’amour dont j’ai toujours rêvé.»

 

Que vous est-il resté de toutes ces années passées en France? En quoi vous ont-elles marquée au-delà de la nostalgie générée par le déracinement? Il y a eu la douleur du déracinement, nous avons été déracinés mais d’une façon très violente. Nous avions prévu notre avenir ici et d’un jour à l’autre nous nous sommes retrouvés dans un autre pays. Les premières années ont été douloureuses. Mais je suis profondément reconnaissante à la France. J’y ai cultivé mon regard, au fait, l’amour de la Beauté, l’amour de la nature, le respect de l’autre, des lois, je les dois, en partie, à ma vie en France qui m’a beaucoup appris. Il y avait aussi la solidarité entre les Libanais réunis autour de la Cause. Nous avons continué la lutte, mais d’une façon différente. Ce combat a toujours existé, nous l’avons vécu différemment, loin des nôtres, tout en restant proches. C’était une belle expérience, mais en même temps comme vous l’avez dit, teintée de douleur et d’amertume.

L’écrivaine Germaine de Staël a écrit: «La gloire est le deuil éclatant du bonheur». Qu’en pensez-vous? J’ignore les circonstances que Mme de Staël a vécues quand elle a sorti cette citation, mais je crois que la gloire a ses revers et ses épreuves, donc oui, dans ses épreuves, elle peut être le deuil du bonheur. Mais bon, le bonheur n’est pas garanti à jamais, ni la gloire d’ailleurs.

Pour conclure, qu’aimeriez-vous dire à nos lecteurs? J’aimerais leur dire qu’il y a une belle production culturelle au Liban. De très belles initiatives privées. Il y a des choses qui se font. Il faut regarder la vie du bon côté, ne pas désespérer. Le Liban est un carrefour de civilisations, nous avons notre complexité mais aussi notre richesse. Il faut y croire et s’y attacher. Propos recueillis par SABINE FARRA DE CERDA

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