Assaad Chaftari

Prestige N° 271, février 2016

«L’ouvrage est un message d’espoir que j’ai vécu et que j’espère partager avec autrui»

Dans son ouvrage «La Vérité même si ma voix tremble», Assaad Chaftari, ancien Numéro 2 des services de renseignements des Kataëb durant la guerre civile et actuel activiste, membre de mouvements, d’ONG et de la coalition Wahdatouna khalasouna, fait son mea-culpa public et prône le changement au niveau personnel, le dialogue et la non-violence, pour sauver le pays. Un message universel d’espoir qu’il délivre à Prestige.

Photo 2 - signature CHAFTARI

L’auteur de l’ouvrage, Assaad Chaftari. © Archives Assaad Chaftari

 

Vous êtes l’auteur d’une lettre de pardon publique en l’an 2000 où vous exprimez vos regrets suite aux atrocités de la guerre civile. Vous avez également sorti votre film «Sleepless Nights» en 2013.Qu’est-ce qui vous pousse encore à publier un livre? Le film «Sleepless Nights» n’est pas «mon film». C’est celui de Mlle Eliane Raheb qui reflète sa façon de voir les choses et qui m’a défiguré quelque part car il ne révèle pas mon message mais il traite plutôt de la problématique des disparus dont le dossier continue à faire souffrir et saigner les cœurs des familles de plus de 17.000 disparus d’après les chiffres de l’Etat libanais. Par contre, ce livre, comme ma lettre de demande de pardon, portent mon seing. Et puis, je crois n’avoir jamais parlé des choses importantes que raconte cet ouvrage. Ce n’est pas un message choquant mais plutôt un message d’espoir que j’ai vécu et que j’espère partager avec autrui.

«La Vérité même si ma voix tremble».Pourquoi ce titre? Qu’est-ce qui peut faire trembler Assaad Chaftari aujourd’hui? J’avais suggéré une longue liste de titres qui parlent de gouffre, de traversée du désert, de changement, d’espoir et bien d’autres thèmes que je traite dans l’ouvrage. De commun accord avec l’éditeur Dergham, nous avons finalement choisi de cette liste le titre présent. Il y a des vérités difficiles à avouer comme celles des défauts personnels et intimes ou les abus perpétrés au niveau personnel pendant une guerre civile ou l’acte d’avoir tué de ses propres mains. Il y a aussi le fait que j’essaie de relire toute ma vie personnelle, politique ou militaire sous un autre angle. Il fallait essayer de ne parler que de moi-même mais dans un champ de mines on ne peut pas toujours décider quelle mine va exploser. Est-ce la vôtre uniquement ou d’autres qui sont celles de personnes avec qui j’ai collaboré et que je ne veux en aucun cas accuser de quoi que ce soit. Il y a ensuite le problème des tabous que je romps et ce pacte non écrit du silence qui a suivi la fin des hostilités dû à mon avis aux différents traumas récoltés pendant la guerre et la honte de nous être laissés être violents et même supra-violents.

Quel a été le déclic? Quand et comment a débuté votre chemin de Compostelle? De par ma douloureuse expérience de changement, je sais qu’il n’y a jamais un déclic. C’est plutôt un cheminement qui enclenche un début de changement. Comme je le raconte dans l’ouvrage, le Bon Dieu a mis sur mon chemin en 1988 un groupe dit le Réarmement Moral aujourd’hui connu sous un nouveau nom Initiatives et Changement. Ils prêchent le changement personnel comme un passage obligatoire pour espérer changer le monde tout en comparant sa vie à quatre critères moraux qui sont: l’honnêteté absolue, la pureté absolue, le désintéressement absolu et enfin l’amour absolu. Ils affirment aussi que le Bon Dieu -si on est croyant-, sinon la conscience, nous guident -si on le veut-, vers le bon chemin et nous inspirent les actes nécessaires pour nous changer nous-mêmes ou changer un tant soit peu les choses autour de nous et dans notre société.

Si vous étiez appelé à porter aujourd’hui les armes, seriez-vous prêt à le faire? Si vous refusez, n’agiriez-vous pas en traître refusant de défendre votre pays? Une question fort aléatoire mais à laquelle j’ai une réponse. Nous nous devons de différencier entre le fait de porter les armes contre un envahisseur d’un pays étranger et porter les armes pour tuer des frères citoyens donc frères. Je ne prendrai plus jamais les armes car elles n’ont jamais rien résolu et toute violence se retourne contre ses acteurs. Si ce n’est pas dans l’immédiat, elle se répercutera à coup sûr sur les générations suivantes. Le dialogue n’a jamais tué quelqu’un, des concessions mutuelles dans l’intérêt de tous non plus.

 

Photo 1 - table ronde CHAFTARI

Table ronde autour du livre d’Assaad Chaftari. © Archives Assaad Chaftari

 

Si le cours des événements avait tourné en votre faveur, auriez-vous fait aujourd’hui votre mea-culpa? Encore une question aléatoire à laquelle je ne saurai répondre. Tout d’abord laissez-moi placer une précision. J’ai peut-être perdu militairement au sein du camp chrétien. Mais au total j’ai, avec beaucoup d’autres, gagné car l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre civile n’a été qu’une mauvaise copie de l’Accord tripartite signé en décembre 1985 que j’ai co-négocié au nom des Forces libanaises d’alors et qui a été annulé par un putsch qui a coûté la vie à de centaines de personnes. J’avais perdu une partie des chrétiens qui ont plus tard rejoint l’accord de Taëf mais par contre j’ai, nous avons gagné tout le reste des Libanais. Je suis catégorique qu’au bilan je suis du clan des gagnants. Et puis pour les causes de justice et de paix il faut être prêt à tout perdre pour gagner. Je crois que j’ai été recouvert d’une Miséricorde divine pour que tel soit le cas peut-être. Remarquez qu’à un certain niveau j’étais encore ce héros dont vous parlez même après la fin de la guerre, mais pour les miens. Mais je me devais d’être aussi au service de tous les Libanais. Quand on devient conscient de ses erreurs et de ses péchés on commet un péché plus grave en gardant le silence. Si nos gouvernements n’ont rien fait ni au niveau de la justice normale ou transitionnelle ni au niveau de relecture des raisons d’une guerre fratricide, ou encore au niveau de la restitution ou au niveau d’une vraie réconciliation -au niveau de souche pas une réconciliation éclectique entre politiciens-, nous pouvons, aux niveaux citoyen et société civile, passer par ce purgatoire. J’ai dit «nous pouvons» mais je me corrige tout de suite: «nous devons»!

La jeunesse actuelle vous rappelle-t-elle celle de 1975? Un message… Le confessionnalisme s’envenime et empire de plus en plus. La division verticale du pays en deux coalitions distinctes, la division catastrophique entre sunnites et chiites, les problèmes sociaux, la faiblesse du gouvernement central qui bat des records et les guerres qui nous entourent ne sont sûrement pas les bons ingrédients pour l’apaisement des esprits ou pour l’instauration d’une certaine stabilité dans le pays. Les médias, toutes partisanes, sont devenues maintes fois plus nombreuses et plus virulentes que pendant la guerre civile. Oui j’avoue que la situation est grave mais pas désespérée. A la jeunesse je dirais: ne laissez pas les autres décider pour vous, ne perdez pas votre esprit critique, et allez vérifier les ouï-dire qui parlent du mal des autres. Sortez de votre zone de confort vers la découverte de l’autre qui est aussi humain que vous, qui a peut-être d’autres opinions politiques que les vôtres mais qui vous attend.

Racontez-nous vos activités…Quand j’ai commencé à me réveiller j’ai été surpris de savoir que beaucoup d’ONG avaient commencé à travailler pour la Paix civile pendant la guerre avec tous les risques qui incombaient. Aujourd’hui une myriade d’autres ONG ont vu le jour. Je fais toujours partie d’Initiatives et Changement/le Réarmement Moral. Ce mouvement avec 31 autres ONG est membre depuis 2008 d’une coalition que nous avons appelée Wahdatouna khalassouna ou encore Notre unité nous sauvera. Il y a deux ans, suite aux hostilités à Tripoli, nous étions plusieurs ex-combattants venant de différentes milices ennemies à nous constituer en nouvelle association sous l’appellation Combattants pour la Paix. Toutes ces organisations ont surtout comme but d’immuniser la société -et surtout les jeunes- contre la violence d’où les nombreuses visites aux écoles, universités et à certains partis politiques et autres organisations. Nous nous déplaçons dans tout le pays. Nombreux documentaires ou autres ouvrages sont mis à la disposition des jeunes ou de leurs éducateurs. Nous organisons des séances de partage à propos de nos expériences personnelles avant, pendant et après la guerre, mais aussi des ateliers sur le pardon, la violence, le dialogue, la transformation des conflits, ou la communication non violente. Parfois c’est une de nos deux pièces de théâtre, etc. Je rencontre des groupes de jeunes Palestiniens mais aussi de jeunes Syriens.

Envisagez-vous la traduction de votre livre en d’autres langues? Le livre est sous traduction vers l’arabe. On m’a prié de faire de même vers l’anglais mais tout dépendra de la demande quoi que je sois conscient que le message que le livre porte est universel.

Où trouve-t-on votre ouvrage? L’ouvrage s’est répandu un peu partout au Liban, dans les grandes librairies surtout mais aussi dans les banlieues de Beyrouth et les régions comme Kaslik, Bikfaya et très prochainement Zahlé. On peut aussi le commander en ligne via le site d’Antoine online.

Un mot du message que vous désirez faire parvenir aux Libanais. La situation du pays n’est pas désespérée si vous participez au changement mais en commençant par vous-mêmes. Nous pouvons en tant qu’individus face à la déficience de nos gouvernements prendre les initiatives nécessaires pour changer l’état des choses mais pour cela il faudrait rester unis et œuvrer dans l’intérêt de tous. Car si un des maillons est faible tout le Liban en deviendra malade. Propos recueillis par MIREILLE BRIDI BOUABJIAN

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