En Hommage à Walid Awad

Nous republions une interview très intéressante parue dans le numéro de Prestige juillet 2003 avec le grand journaliste Walid Awad, décédé le 29 Juin 2019. Ses propos sur l’importance des relations publiques dans le métier de journaliste, et la nécessité de prendre des mesures pour protéger les gens du métier restent toujours d’actualité. Walid Awad était un monument du journalisme, une référence du reportage-vérité. Walid Awad, l’homme impressionne. Une fabuleuse mémoire. L’œil toujours alerte, l’oreille attentive, à l’affût du nouveau concept, et du scoop.

 

 

© Archives Walid Awad.

 

 

Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans la presse?

C’était en 1956, au magazine KoulChay avec… des reportages sur des catastrophes! Le grand séisme de Chehim, et la crue du fleuve Abou Ali qui a inondé le cœur de Tripoli qui était alors situé plus à l’intérieur des terres. Ce n’est qu’alors que commerçants, bijoutiers, parfumeurs se sont installés dans la nouvelle ville.

Vous avez ce talent de pêcher l’information. Comment faites-vous donc?

Ma porte d’entrée dans la haute société, c’était l’illustre femme du monde Maud Farjallah. Chez elle, je rencontrais la plupart des hommes politiques, Sami Solh, Rachid Karamé, Camille Chamoun, je flairais les informations, prêtais une oreille indiscrète aux potins et rumeurs et je les rapportais à KoulChay. Tout le monde était intrigué: «Mais comment fais-tu?» Je leur répondais énigmatique:«Le secret du métier». Maud m’a beaucoup aidé. Je citerai aussi SittJamilé el Khalil qui faisait salon à sa résidence face à l’hippodrome. J’étais un assidu de ces réceptions. Ainsi, je suis devenu spécialiste du genre, à l’époque où le social était indissociable de la politique.

 

 

Accolade avec le Prince Abdallah. © Archives Walid Awad.

 

 

Entre la revue Hawadeth et Walid Awad, il y a une longue histoire riche en scoops et tissée d’aventures. C’est là que vous vous êtes imposé dans le journalisme.

Le jour où j’ai rencontré le fondateur du Hawadeth Salim Lawzi, j’ai été frappé par le fait qu’il avait non pas une mais deux caméras autour du cou. C’était un grand journaliste exilé par le roi Farouk pour avoir révélé la vérité sur le scandale des armes sabotées envoyées en Palestine pour la bataille de Falouja. Lawzi s’est donc réfugié au Liban.J’ai fait sa connaissance.Il m’a proposé de travailler avec lui.J’ai travaillé en deux étapes au Hawadeth, entre 60 et 63 puis j’ai pris la direction de la rédaction de la revue Al Liwa pour ensuite réintégrer la revue Hawadeth.

 

 

Une interview exceptionnelle avec Mgr Makarios. © Archives Walid Awad.

 

 

Monseigneur Makarios

En 1971 Monseigneur Makarios était le personnage-clef de l’actualité. Toute la presse du monde entier se trouvait à Chypre pour l’entrevoir. The Sun, The Daily Telegraph, Le Monde, Le Figaro, New York Times. Je me suis porté volontaire pour aller le rencontrer, c’était un défi car Makarios avait spécifié qu’il ne donnait pas d’interview. …Je me suis rendu chez Mgr Georges Khodr que je connaissais bien et lui demandais de m’aider. Arrivé à Chypre, Je me suis rendu au Palais présidentiel et rencontrai le directeur. «Je voudrais rencontrer Mgr Makarios.» Il me fit, catégorique: «Pas d’interview.» «Vous lui direz que je viens de la part de Mgr Khodr chez qui il a passé deux jours à Mina, Tripoli.» Une heure passa, j’appelais:«Il me dit simplement: «Welcome, Mister Awad.» Makarios ouvrit et me dit: «Une photo c’est tout?» Nous avons eu un long entretien. Je reviens au Liban et immédiatement je fais développer les photos, que je donnais à Mr. Lawzi. Il jubilait, il déclara à la ronde: «Ça c’est du boulot!» Il m’a versé un bonus, et a largement majoré mon salaire…

 

Au Hawadeth, vous n’avez pas hésité à faire du reportage sur le terrain.

Je citerai en exemple la révolte de Farouk el Mouqaddem à Tripoli en 1969. Il s’était réfugié avec ses miliciens à l’intérieur de la citadelle, aussitôt encerclée par les forces de l’Armée. J’ai proposé à Salim Lawzi: «Et si j’allais l’interviewer à la citadelle?». Au pied de la citadelle, je suis arrêté par un barrage de l’Armée:«Que viens-tu faire là?» «Je veux entrer à la citadelle, c’est mon droit. Comment vas-tu m’en empêcher?» dis-je au militaire en faction. J’étais sûr que le soldat n’oserait pas tirer sur un journaliste qui faisait son métier. Et j’ai eu un entretien avec Farouk… Au moment de quitter, le franc-tireur s’est mis à l’ouvrage.  Farouk m’a dit:«Je dois ouvrir le feu pour couvrir ta sortie.» Et il a engagé la bataille pour faire diversion. Nous nous sommes glissés par une autre issue. Les balles sifflaient de partout…

On vous connaît des goûts de cinéphile, quand est née cette passion du cinéma?

Mon oncle Khaireddine Awad était propriétaire du cinéma Empire à Tripoli, on y avait installé un petit tabouret, réservé au petit Walid. C’était mon siège attitré. J’ai visionné des dizaines de fois The thief of Bagdad, Gone with the wind, mon film préféré, tous les films d’Abdel Wahab. Aujourd’hui, j’habite Sanayeh et régulièrement, je m’en vais à la salle de cinéma d’à côté. Je fais le vide dans ma tête. C’est ma manière à moi de déstresser.

 

Avec Um Kulsum. © Archives Walid Awad.

 

 

Um kulsum, une dame qui régnait sur le monde arabe par sa voix, comme d’autres règnent par la politique. Les Arabes ne s’entendaient sur rien sauf sur Um Kulsum. C’était elle qui les rassemblait. Fayrouz est aussi une grande dame, elle nous a invités plus d’une fois et à ce jour, à chaque Nouvel An, elle m’envoie une dinde. J’ai une immense estime pour Fayrouz, qui est en quelque sorte, le passeport du Liban à l’étranger.

 

Vous étiez ami avec de grandes vedettes de la chanson égyptienne.

Il est vrai que j’aime le classique, en particulier Rimsky-Korsakov et Verdi, mais les chansons et les chants patriotiques de Abdel Wahab ont toujours su m’émouvoir. J’aime aussi Abdel Halim Hafez à qui me liait une grande amitié.

Vos chanteurs favoris aujourd’hui?

D’abord l’inimitable Fayrouz puis Sabah, une grande amie, la première vedette qui m’ait permis de l’interviewer alors que j’étais encore à mes débuts et que je collaborais au quotidien tripolitain Al Hadara. Elle vivait alors dans la capitale du Nord, elle était mariée à Nagib Chammas. Très peu de gens savent qu’elle a vécu à Tripoli. Je suis arrivé chez elle avec mon petit cartable à la main. Je devais avoir 17 ans. Sabah m’ouvrit la porte. Je lui ai dit avec l’assurance de ma jeunesse:«Je m’appelle Walid Awad, journaliste.» Elle écarquilla les yeux: «Toi, si jeune, journaliste?»

 

Walid Awad déambulant avec Abdel Wahab. © Archives Walid Awad.

 

 

Quand avez-vous ressenti le besoin  d’avoir votre propre magazine?

Après la mort de Salim Lawzi, j’ai décidé dès lors d’ouvrir ma propre revue. J’étais fatigué d’être un employé, je voulais ouvrir ma propre affaire seul. Mon père était ami avec Georges Isaac Khoury qui avait les droits d’un hebdomadaire Al Afkar et qui avait accepté de me les céder.

 

Rencontre avec le chancelier Bruno Kreisky. © Archives Walid Awad.

 

 

Le chancelier Bruno Kreisky 1978

La presse était invitée à Vienne par l’Organisation des Nations unies. J’ai tout de suite pensé à profiter de ce voyage pour interviewer le chancelier Bruno Kreisky. Je me suis alors rendu chez Sélim el Hoss, alors Premier ministre, et je lui ai dit: «Je vais à Vienne, je voudrais une lettre pour Kreisky, comme vous êtes président du Conseil, cela m’ouvrira des portes.» Il accepta de me donner un message verbal à l’intention de l’homme d’Etat autrichien. A peine arrivé à Vienne, j’ai appelé pour prendre rendez-vous. Impossible, Bruno Kreisky était en convalescence, étant opéré de la vésicule biliaire. Je n’avais que vingt-quatre heures. L’idée toute simple de chercher le nom Bruno Kreisky dans l’annuaire régional me traversa l’esprit. J’ai appelé le cœur battant, une voix assurée me répond. «Je suis Bruno Kreisky.» «Vous avez un message de Sélim el Hoss…» «Demain, dix heures du matin, je vous attends.» A dix heures précises, il m’a reçu. Je lui ai communiqué le message: «Le président libanais du Conseil vous prie de découvrir ce qui est advenu de Cheikh Moussa Sadr.» Et j’ai obtenu mon entretien. Au retour, j’ai soumis une condition: être en couverture du numéro avec l’interviewé. Salim Lawzi réfléchit longuement et m’envoya son accord de Londres.

Al Afkar a connu une évolution remarquable tout au long de ses 21 ans.

Je vous dirais ceci: nombreux de mes confrères reçoivent mille dollars, empochent 900 et investissent 100 dans leur magazine, moi c’est l’inverse, j’investis 900 et j’en empoche 100. Chaque fois que les revenus augmentent, j’investis et je modernise, ordinateurs, équipement, je passe des accords avec des agences de presse. A l’heure actuelle, nous avons des délégués en Egypte, en Arabie saoudite, en Syrie…

 

 

L’équipe du magazine Al Afkar en visite chez le patriarche Sfeir. © Archives Walid Awad.

 

 

Journaliste très «social», vous êtes un expert des relations publiques, est-ce si important pour votre travail?

J’ai demandé un jour, au célèbre urologue Dr Fakhri Alamé:«Vous êtes de toutes les soirées, or vous êtes chirurgien, quel rapport ont donc ces sorties avec la médecine?» Il rit: «Je dois 50% de mon succès à mon talent de médecin et 50% aux relations publiques. Il n’y a pas une soirée où on ne prend rendez-vous, où on ne sollicite un renseignement d’ordre médical.  Ne néglige jamais les relations publiques.» En ce qui me concerne, je ne me rappelle pas une soirée où je ne capte une nouvelle, une rumeur. Il est d’ailleurs impossible pour un journaliste de faire paraître une publication tout en restant entre quatre murs. Le résultat il le doit à la fois à l’effort personnel et à l’interactivité avec autrui.Le plus astucieux dans la presse c’est comment inciter les confidences. Parce qu’il y a des gens «clos». Il faut savoir  trouver la bonne clé. Je lance par exemple: «On raconte cela de toi…» Mon interlocuteur sursaute et me dit: «Qui donc, moi j’ai…» Et voilà, je saisis ce qu’il me faut. A condition de ne faire du mal à personne.

 

 

Walid Awad a toujours eu ce talent de se glisser au cœur d’une personnalité. Ici, en conversation avec Kamal Joumblatt. © Archives Walid Awad.

 

 

Ce qu’on admire chez vous, c’est qu’après tant d’années de métier, vous êtes mû par le même enthousiasme, la même énergie…

Parce que je suis entouré d’une équipe compétente. Je crois au leadership collectif, je ne fais pas tout, je supervise, en particulier les gros titres, le choix des photos.

Justement, pensez-vous que la photo soit essentielle aujourd’hui à la survie de la presse écrite?

La photo est un mode d’expression très important, mais la presse écrite ne mourra pas, preuve en est, on peut zapper une émission sur le petit écran par télécommande, mais pas la presse écrite. Vous n’avez pas le temps de la lire? Vous le ferez plus tard, où vous voulez, quand vous voulez.

Comment évaluez-vous vos relations avec vos confrères?

J’ai pour eux respect et estime. Quand un article me plaît, je n’hésite pas à appeler le journaliste pour le féliciter.

 

Avril 1982. «Personne n’arrivait à croire que le président de la République avait accordé une interview à une revue qui venait d’être lancée.» © Archives Walid Awad.

 

Vous êtes membre de l’Ordre de la Presse, si vous en étiez élu président un jour, quelles seraient vos priorités?

Protéger les revues sérieuses qui ont nécessité des investissements de millions de dollars, un inconnu peut sortir une publication pour presque rien et vous faire de l’ombre. Et puis il faudrait qu’il y ait une répartition publicitaire équitable, sous la supervision de l’Ordre de la Presse qui assumera une plus grande responsabilité en vue de la protection des droits des propriétaires de publications.

Votre fille Zeina est aujourd’hui directrice d’Al Afkar, qu’en est-il de vos autres enfants?

Khaled, l’aîné qui est ingénieur, rédige la page économique dans le Al Afkar, il vit entre Beyrouth et Dubai, où il travaille à Internet City. Ma deuxième fille, Sawsan, mariée à un entrepreneur, vit à Tampa, en Floride. ZeinaAwad est directrice d’ Al Afkar, actuellement nous mettons sur pied une publication Machahir, revue de célébrités en arabe, qui paraîtra entre le Liban et Dubai.

 

Walid Awad avec sa fille Zeina. © Archives Walid Awad.

 

 

Zeina Awad, travailler dans la presse c’était une voie toute tracée?

En fait, j’ai fait des études de management et je me suis proposée pour venir donner un coup de main au département de comptabilité. C’était juste pour un stage. Mais là, j’ai réalisé le chaos, il fallait une meilleure gestion. Et puis j’ai appris à aimer le journalisme, et j’ai refait un BA en Journalisme. C’était tout naturel…

Monsieur Walid Awad, votre rêve de journaliste?

Sur un plan plus prosaïque, ouvrir des bureaux à Dubai, aujourd’hui centre des affaires et de l’Internet, avoir aussi un bureau à Paris. Et puis faire paraître un magazine bilingue anglais-arabe, m’installer au centre-ville… Sur un autre plus intellectuel, j’envisage de fonder le club du Al Afkar. Ce club rassemblerait toutes les personnes «non alignées», partisans de la politique:Lebanon first sans se départir du sentiment de panarabisme, un club qui ressemblerait au Centre d’Information de l’égyptien Al Ahram, une manufacture de pensées, d’opinions et nouvelles idées, à travers des cénacles, des débats, des rencontres…

 

 

Avec Abdel Halim Hafez. © Archives Walid Awad.

 

 

Abdel Halim Hafez rentre un jour dans mon bureau, au troisième étage de la revue Hawadeth. Il me fit d’une voix lasse:«Permettez-moi de me reposer un peu.» Et il s’assoupit. Quand il s’est réveillé, il m’a dit: «Allez, viens avec moi!» «Où ça?!» «On monte à Notre Dame de Harissa.» A Harissa, nous avons gravi les marches des escaliers en colimaçon. Une fois arrivés au pied de la statue, Abdel Halim retira sa veste, se mit à genoux et commença à implorer la Vierge: «Notre Dame, aie pitié de ton fils.» Abdel Halim souffrait alors d’un mal incurable. En descendant, je lui ai fait remarquer: «Nous les musulmans, nous ne croyons pas aux statues et représentations matérielles des saints.» «Je sais, mais je suis poète, je ressens intensément la présence de la Dame ici.»

 

Vous semblez programmé comme un ordinateur. Racontez-nous 24 heures dans la vie de Walid Awad.

Je suis programmé en fonction de la parution de l’hebdomadaire, il y a une date de bouclage à respecter, le magazine doit paraître le vendredi. Je me couche à une heure précise, après avoir écouté la BBC ou Radio Orient à 23 heures. Parfois, j’assiste aux débats télévisés, j’aime savoir ce que et comment les gens pensent. Le matin, je me lève à sept heures, j’écris mes articles à la maison, mon éditorial me demande beaucoup d’efforts, c’est comme tricoter, tisser, il faut un esprit clair, transparent. C’est le matin que j’aime écrire. Vers onze heures, j’arrive au bureau, j’y reste jusqu’à l’après-midi, sauf en cas d’imprévu. Mon hobby? Autrefois, le billard, aujourd’hui, je n’ai plus le temps, la presse c’est mon métier et…  mon hobby. Propos recueillis par Marcelle Nadim

 

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