Nadia Naffi

Prestige N° 280, Nov. 2016

 

«Le contact est crucial Pour l’intégration et l’inclusion des Réfugiés syriens dans tout pays d’accueil»

Newsmaker of the Week, interviews accordées à l’Université Concordia, Radio Canada, VICE Québec, Breakfast TV, et conférences données au Canada et en Europe… Nadia Naffi, mère de famille libanaise émigrée au Canada, est doctorante Ph.D. à l’Université Concordia, professeur en médias sociaux à la Faculté UOIT d’Oshawa, Ontario et consultante en gestion de la performance. Elle croit dur comme fer et défend une thèse d’actualité brûlante, à savoir l’impact des réseaux sociaux sur l’intégration et l’inclusion des réfugiés syriens dans les pays d’accueil tels que le Canada. Des recherches qu’elle mène principalement au niveau des jeunes des pays d’accueil, pour établir un contact fructueux et aboutir à une meilleure compréhension susceptible de faciliter l’intégration et l’inclusion des réfugiés. Dans une rencontre avec Prestige, Nadia Naffi détaille le sujet.

 

 

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Nadia Naffi.

 

 

 

Qui est Nadia Naffi? Je suis libanaise, émigrée depuis neuf ans au Canada, pour assurer un meilleur avenir à la famille, et notamment aux enfants. Je suis consultante en gestion de la performance, actuellement doctorante à l’Université Concordia de Montréal, département de l’éducation, sous la supervision du Dre Ann-Louise Davidson, et également professeur en ligne de médias sociaux, à la Faculté d’éducation d’Oshawa, Ontario. Je prépare un doctorat sur l’influence des réseaux sociaux sur l’intégration et l’inclusion des réfugiés syriens dans les pays d’accueil tels que le Canada, un sujet d’une actualité brûlante que je traite avec une grande passion.

Racontez-nous votre histoire avec les réseaux sociaux… A mon arrivée à Montréal, j’ai entamé mes études à l’Université Concordia, par une maîtrise en Technologie éducative, qui m’a entraînée à examiner les performances de façons systématique et systémique afin d’identifier les problèmes et trouver et concevoir des solutions appropriées. Mon attention était, dès le début, focalisée sur la manière de «vivre» des jeunes sur les réseaux sociaux. Personnellement en tant qu’émigrante, j’ai vécu les défis posés pour s’intégrer dans la communauté canadienne, mais j’avais moins de soucis du moment que je parlais français. Toutefois, concernant les enfants, le fait d’arriver du Liban, un pays du monde arabe et de parler arabe, cela posait problème. Après la maîtrise, j’ai entamé mon doctorat toujours en Technologie éducative, et me suis concentrée sur l’influence des réseaux sociaux sur l’intégration des émigrants. J’étais consciente des problèmes mais j’ai eu la chance de pouvoir m’intégrer rapidement. L’Université Concordia m’a généreusement accueillie et j’ai vécu la success story d’avoir évité les défis que d’autres ont rencontrés. Avec le déclenchement de la crise syrienne, un changement catégorique a eu lieu et s’est aggravé après les attaques de Paris.

Comment avez-vous réagi? Je cherchais à comprendre la cause pour trouver la solution et la manière dont je pouvais aider. Après les attaques de Paris, la crise des réfugiés a été étroitement liée au terrorisme. Les viols à Cologne, en Allemagne, ont suivi et apporté une autre équation, à savoir réfugiés égal violeurs. Bien que les faits aient eu lieu en Europe, l’impact a été très fort au Canada, notamment avec l’afflux des 30.000 réfugiés sur son sol. Les Canadiens, pourtant connus pour leur hospitalité et leur ouverture aux autres, étaient en proie à la peur et exprimaient cela à travers les réseaux sociaux. Ces derniers répandaient la peur en Europe, traitant les réfugiés de peste et de serpents venimeux qui s’apprêtent à bondir sur leur proie. Des attaques injustes ont été dénoncées par les victimes elles-mêmes qui n’étaient ni musulmanes ni réfugiées mais bel et bien canadiennes. J’ai fait une recherche et parlé avec des jeunes d’Europe et du Moyen-Orient, et de la société d’accueil au Canada et non pas à des réfugiés.

Pourquoi avez-vous focalisé sur la société d’accueil? Un grand investissement a été fait pour aider les réfugiés à s’intégrer. Le gouvernement leur donne tous les outils nécessaires dans ce sens, mais malgré tous ces efforts officiels, la voix des jeunes qui sont supposés accueillir ces nouveaux arrivants dans leurs écoles, dans leur milieu de travail, ou même sortir célébrer avec eux, ne se fait pas entendre. En dialoguant avec eux, les jeunes connaîtront leur manière de penser et leur prédisposition à faire leur vie dans le pays. Dans ce cas, il faudrait trouver une solution où les deux parties pourront vivre et être productifs ensemble, sans toutefois nuire à nos jeunes.

 

«Aider les jeunes à établir des contacts et à être critiques des messages partagés en ligne pour pouvoir vivre et être productifs ensemble.»

 

Qu’avez-vous fait? J’ai centré ma recherche sur la manière avec laquelle les jeunes interprètent tous ces messages partagés sur les réseaux sociaux. Des messages jugés superficiels mais qui après réflexion, sont compris autrement. J’ai recruté quarante-deux jeunes participants de 16 à 24 ans, puis j’ai organisé trois à quatre entrevues d’une heure trente chacune, pour partager avec eux les messages postés après les attaques de Paris, Cologne et Bruxelles. Nous avons discuté de la manière dont ces jeunes interprétaient ces messages à première vue et des sujets sur lesquels ils s’étaient attardés. Je me suis référée à des techniques prises de la «théorie des construits» de George Kelly, pour comprendre la manière dont ils construisaient et interprétaient ces messages.

Qu’entendez-vous par la «théorie des construits»? Les construits forment tout ce qui compose notre identité. Ils diffèrent d’une personne à l’autre. Le background, la manière de penser, de réfléchir, de voir le monde et d’évaluer les choses autour de nous. Quand nous aurons compris tous ces facteurs qui ont abouti à ces construits-là, nous pourrons alors aider les jeunes à voir les choses différemment. J’ai puisé toutes ces techniques dans la psychologie en travaillant avec ces jeunes.

Parlez-nous des entrevues avec les participants…Dans la première entrevue, nous avons discuté de la manière dont ces quarante-deux jeunes comprenaient le contenu partagé en ligne concernant la crise des réfugiés. Dans la deuxième, je leur ai demandé d’imaginer la réaction d’un Syrien ou d’un Canadien qui lirait le message. Là, les points de vue et les perspectives ont varié. Ils ont commencé à voir les messages sous d’autres angles, davantage en profondeur, pour les comprendre. A la fin de la troisième entrevue menée toujours en profondeur, j’ai demandé aux participants un feedback des techniques appliquées et le changement qui a été opéré.

Avez-vous abouti à une solution? La plupart des jeunes ont avoué qu’ils n’étaient pas conscients de l’influence que ces messages avaient sur l’intégration des réfugiés parce qu’ils ne se sont jamais mis dans la peau de l’autre, et n’ont pas suffisamment réfléchi sur les répercussions que peuvent avoir ces messages sur les réfugiés ou sur d’autres jeunes des pays d’accueil. Ils ont avancé une idée intéressante, à savoir que ceux qui étaient contre s’exprimaient davantage sur les réseaux sociaux que les gens qui étaient pour. La raison en est que les gens qui approuvent estiment que le travail sur le terrain pour aider effectivement les réfugiés   est beaucoup plus important que de poster les messages en ligne. En lisant ces messages, même si le travail sur le terrain est effectif, le Syrien aura le sentiment d’être accepté par certains et rejeté par d’autres d’autant plus qu’il est installé dans un environnement particulier. Il n’a aucune idée de celui qui est pour ou celui qui est contre lui. Il vivra toujours dans la crainte et la peur de l’autre, et ne réussira jamais à s’intégrer, ni à avancer.

Qu’en est-il de l’autre, Canadien ou Européen? En voyant une image négative partagée sur les réseaux sociaux, le Canadien ou l’Européen, qui n’a jamais eu de contact avec un vrai réfugié, ne se rendra pas compte de la main cachée derrière eux, et il aura peur lui aussi. Donc cette crainte engendrée dans les deux camps à cause des messages partagés, est susceptible de creuser un fossé plus ou moins profond. C’est ce point que je suis en train de développer, pour comprendre la cause afin de trouver la solution.

Comment avez-vous élargi vos contacts? Dans le cadre des recherches faites sur ma thèse de doctorat, j’ai créé des contacts et publié des articles pour que d’autres chercheurs soient au courant de mes idées. Et effectivement, un chercheur britannique qui était un des noms connus dans le domaine de la méthodologie que j’avais adoptée, m’a signalé que j’appliquais ce qu’il faisait lui-même sur la crise des réfugiés, et m’a conviée à une conférence psychologique intéressante en Italie. Là-bas, mon intervention a eu un grand succès et son impact a été très important. A mon retour à Montréal, j’ai publié un article sur la manière d’envisager l’intégration sous différents angles, un sujet d’actualité qui a eu de larges échos auprès des médias et j’ai été la «Newsmaker of the Week». C’est ainsi que mes contacts se sont élargis au Canada. J’ai procédé à 126 entrevues et je travaille actuellement sur l’analyse des données avant la recommandation pour faire la synthèse.

Que faut-il faire? D’abord comprendre la manière dont les jeunes interprètent le message en ligne et comment ils agissent envers l’autre; comprendre la raison de leur peur et leur volonté d’exclure l’autre; aider les gens à établir des contacts et à être critiques est crucial. Je suis disposée à coopérer, j’ai les outils, je fais des recherches avec deux provinces du Canada, mais aussi avec l’Angleterre, l’Europe, notamment la Pologne, l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Ukraine. Propos recueillis par MIREILLE BRIDI BOUABJIAN

 

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