MONA HRAOUI « Je n’ai pas de secret »

Prestige N 23, Avril 1995

Elle séduit le Liban par son esprit moderne et son dynamisme. Si Mona Hraoui reconnaît être une femme privilégiée, heureuse, elle n’en reste pas moins sensible aux grands problèmes de l’époque comme la thalassémie, la drogue, le sida, les guerres, la perte des valeurs, l’avenir l’inquiète parfois «mais je fais confiance à la conscience humaine» affirme la Première Dame.

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© Prestige / Bassam Lahoud

«Première Dame…un travail à plein temps!»

Très élégante dans un ensemble marine, la Première Dame nous reçoit au Palais Présidentiel situé sur la colline de Baabda qui surplombe l’indomptable ville de Beyrouth. Le palais ressuscité palpite de vie depuis que la maîtresse des lieux l’a réveillé de son long sommeil et arraché au terrible abandon dans lequel il se trouvait depuis de longues années. Dans ce décor somptueux où se conjuguent harmonieusement taffetas, satins et passementeries aux couleurs chatoyantes, où de subtiles nuances de rouge, de vert et d’or viennent souligner encore l’élégance du mobilier, le tout rehaussé de superbes bouquets composés à la manière d’un tableau mariant rigueur et fantaisie, on se sent entraîné hors du temps, dans un univers onirique qui reflète parfaitement la personnalité des prestigieux hôtes qui habitent le Palais … «Les êtres humains commettent des actes terribles puis avec le temps, ils peuvent se repentir d’avoir eu mauvaise conscience, ce qui pourrait peut-être sauver l’humanité.» La vie de Mona Hraoui ne fut pas toujours un long fleuve tranquille. Nous lui demandons de nous en faire le récit. Elle acquiesce, sourit, se souvient, raconte. «Je suis née à Baalbeck, de père palestinien et de mère libanaise. Aînée de trois filles, j’ai vécu mon enfance à Bethléem jusqu’au décès tragique de mon père. J’avais neuf ans à cette époque-là,» Sa voix se casse brusquement étouffée par l’émotion.

«Ce drame a bouleversé ma vie car j’entretenais avec mon père des rapports très privilégiés. Je l’admirais, nous nous entendions à merveille. Ma mère se décida, à la suite du deuil, de rentrer au Liban avec mes sœurs. J’ai choisi pour ma part de rester à Amman chez ma tante paternelle et d’y poursuivre mes études.»

Quelle petite fille étiez-vous? «Les malheurs par lesquels je suis passée durant mon enfance m’ont rendue triste, méfiante et solitaire mais sous cette apparence de dureté se cachait en vérité un être fragile au cœur sensible qui avait choisi la solitude pour se protéger des mauvais coups, car très tôt j’ai appris à ne compter que sur moi-même.»

Jusqu’à quel âge êtes-vous restée à Amman? «Jusqu’à la fin de mes études terminales. Je suis rentrée à dix-sept ans au Liban, à Baalbeck, où ma mère et mes sœurs s’étaient installées.»

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© Archives Famille Hraoui

La petite Mona Jammal, le jour de sa première communion à Jérusalem.

«Le décès tragique de mon père a bouleversé ma vie … »

Quelle a été votre vie à Baalbeck et quelles impressions gardez-vous de cette période? «En rentrant au Liban, j’ai insisté à poursuivre mes études universitaires, mais à cette époque, les mentalités étaient différentes, j’ai essuyé un refus catégorique malgré mon insistance. Faute de mieux, je suis devenue institutrice d’anglais dans une école du voisinage. Le seul détail que je garde de cette époque fut la découverte du Festival de Baalbeck. Ce fut pour moi un éblouissement total. Cet événement m’a redonné goût à la vie, rechargée en énergie et projetée dans un monde magique que je ne connaissais pas.»

Etiez-vous ambitieuse et déterminée? «Oui, je rêvais d’occuper une place dans la société. Et la vie me paraissait si riche que je voulais en profiter. .. »

Votre rencontre avec votre époux? Entre vous, ce fut Le coup de foudre. «C’est vrai. C’était en 1961, il Y a déjà trente-quatre ans! J’ai pourtant l’impression que c’était hier. J’ai rencontré Elias à Zahlé, chez un parent, grand ami à lui. J’avais souvent entendu mon cousin parler de lui. Je savais qu’il était divorcé avec trois enfants à sa charge, qu’il était commerçant-agriculteur, intelligent, un peu volage et très charmeur.»

Avezvous deviné tout de suite qu’il était l’homme de votre vie? «Oui. Notre rencontre, fruit du hasard, tient du miracle. Ce fut comme une révélation contre laquelle nous ne pouvions rien.

Nous nous sommes tout de suite reconnus. Le soir même, Elias m’a invitée à dîner avec trois autres couples. Nous avons commencé par voir un film, puis nous avons été au restaurant le Tam Tam à Aley pour finalement terminer la soirée dans le night club Chez Eve à Beyrouth. Je me rappelle d’un détail qui, ce soir-là, m’a beaucoup amusée et marquée. Nous étions en voiture et tout à coup, Elias fixa mes pieds et me demanda, étonné, avec son accent zahliote: «Tu chausses du combien?» «41 1/2,42», répondis-je en souriant. «Exactement ma pointure», répliqua-t-il. Puisil ôta sa chaussure, me demanda de l’essayer et fit de même avec la mienne. «Eh bien, dit-il dans un éclat de rire, si tout correspond entre nous aussi parfaitementque nos pointures, je n’ai plus qu’à te demander en mariage. D’ailleurs, je suis en train de le faire!» Puis Elias me regarda dans les yeux et me demanda d’un air grave: «Veux-tu m’épouser?»

Emue, je répondis par l’affirmative et tel un conte de fées, commença la période magique du réveil, un réveil passionnant mais semé de difficultés et d’embûches. En effet, Elias avait quand même mis une condition, sine qua non à notre mariage: il voulait que je sois acceptée par ses trois enfants et m’a donné six mois pour gagner leur affection et leur confiance. Quant à nos deux familles, il s’est chargé de les informer au plus vite. Et la suite, vous la connaissez … »

Et le Président lui déclara son amour d’une étrange façon ...

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© Archives Famille Hraoui

1992, touristes en Espagne: Mona Hraoui et sa fille Zalfa.
 

Où en est le conte de fées aujourd’hui? Elle sourit. «Je touche du bois.»

Elle continue. «Nous nous aimons toujours avec la même force, d’un amour fortifié par les liens du mariage et mûri par l’expérience de la vie à deux, les enfants, les joies et les souffrances partagées, et actuellement le devoir que nous avons à accomplir en commun envers notre pays, toutes proportions gardées évidemment.» Pendant leurs fiançailles, le Président a été victime d’un grave accident qui l’a cloué au lit six mois durant. Il ne savait pas s’il s’en sortirait indemne. Il paraît qu’il a même tenté de la persuader de rompre … «C’est exact mais je n’ai pas accepté et la force de notre amour lui a sauvé la vie … »

Avez-vous traversé des moments de crise? «Evidemment et pas des moindres. Il n’y a pas de véritable couple sans crise. Nous avons pleuré et ri ensemble. C’est cela l’amour. Pour traverser ces périodes difficiles, il faut essayer de comprendre et de s’en sortir fortifié. Il faut pardonner et arriver à ce que chacun respecte les idées de l’autre tout en apprenant à aimer ce que l’autre apprécie. Et surtout, être attentif en permanence en portant sans cesse un regard inquisiteur sur l’être que l’on aime. Ce que disent les yeux ne trompe jamais!»

Quels rapports entretenez-vous avec votre entourage? «J’aime les relations simples, directes et limpides.»

Pensez-vous que lon apprend beaucoup en observant? «Oui. C’est même plus passionnant que de parler quelquefois, de parler de soi surtout.»

Etes-vous fidèle à une devise? «Ne pas promettre et donner le plus possible.»

Quest-ce qui vous désarme et quest ce qui vous blesse tout particulièrement? «La gentillesse et la générosité me désarment, par contre, je ne supporte ni ingratitude ni injustice.»

Vos principales qualités et défauts? «Ma qualité est l’acharnement, mes défauts sont l’impatience et la nervosité.»

Pour vous le comble du mauvais goût? «Manquer d’élégance naturelle.»

Donnez-moi la définition du bonheur. «Rien n’est acquis définitivement et le bonheur est fugitif, fugace. Ce n’est pas la quantité qui rend heureux, mais la qualité, l’intensité d’une’ relation.»

Quels sont vos grands bonheurs? «Ma vie quotidienne auprès des gens que j’aime, les relations avec ma famille, mes amis et surtout mon action humanitaire pour sauver les enfants diabétiques et thalassémiques. J’ai ressenti un besoin de m’impliquer personnellement dans une œuvre utile depuis que mon mari a accédé à la Présidence. Epauler les gens dans le besoin, j’en avais l’habitude bien avant mon arrivée au Palais.

Je m’occupais déjà de bonnes œuvres, des œuvres qui ont pris un élan national lorsque la Fondation de la Thalassémie a vu le jour. Mon mari m’a immédiatement soutenue. Je n’ai pas reçu de subventions de l’Etat. Sans me décourager, j’ai recherché des dons en alertant les personnalités locales, la presse, en animant des réunions publiques sur ce sujet, enfin en créant un téléthon libanais. Les fonds récoltés nous sont parvenus d’entreprises et d’associations étrangères, arabes et européennes et de dons privés. Cela nous permit de construire un hôpital pour les malades nécessiteux, actuellement au nombre de 800. Nous espérons, grâce à la générosité des donateurs, pouvoir continuer à soulager les souffrances des malades démunis.»

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© Prestige / Bassam Lahoud

On vous voit partout: aux côtés du Président dans les cérémonies officielles, mais aussi aux inaugurations et réunions mondaines. Beaucoup apprécient votre activité débordante, certains la critiquent mais tous s’accordent à admirer votre extraordinaire énergie. Où puisez-vous ce dynamisme? «Je n’ai pas de secret, c’est ma nature. J’aime bouger, apprendre rapidement, vivre dans l’urgence. D’ailleurs, je ne me sens relaxée qu’au comble de l’épuisement.

L’immobilité me fait peur. Quant aux gens qui me critiquent, je leur réponds qu’on ne peut plaire à tout le monde.»

Aimez-vous les confidences? «Cela m’agace vite! Pour cette raison, je ne peux pas entretenir une relation d’amitié. Je garde tout pour moi, même si, par fois, cela peut provoquer des drames.»

Pardonnez-vous facilement une trahison? «Pas vraiment. Je pardonne sans conviction. Je n’oublie pas. Je continue de voir la personne sans paraître fâchée, mais quelque chose est détruit. Sur le moment ça fait mal et soudain c’est fini. Il y a un rideau, un écran.»

Quest-ce qui vous fascine le plus? «Les progrès de la médecine, la conquête de l’espace et la rapidité de l’évolution qu’il nous faut rattraper en vitesse.»

Quelles qualités doit-on essentiellement rechercher chez un homme? «Le courage, la générosité, l’intelligence, sans oublier un certain charme.»

Le Président dit que vous êtes exceptionnelle, que dites-vous de lui? «Qu’il en est de même pour lui, grâce à qui je suis devenue cette femme.»

Le mandat du Président sachève bientôt, on parle de renouvellement. Le souhaiteriez-vous? «Je réponds par un non catégorique. Le Président ne le souhaite pas non plus. Lorsque le «sextennat» s’achèvera le 24 novembre 1995, nous serons heureux de regagner notre résidence personnelle, la conscience tranquille d’avoir accompli, de notre mieux dans cette période difficile, notre devoir envers notre pays.»

Vous reste-t-il du temps pour vous consacrer à vos hobbies? La Première Dame sourit avec mélancolie et nous confie en guise de conclusion: «Je n’ai véritablement pas de temps à consacrer aux hobbies. Vous savez, avec toutes les obligations qui m’incombent, Première Dame, c’est vraiment un full time job!»

Propos recueillis par NADIA BASSOUS

Occupation: Première Dame, un rôle dont elle s’acquitte parfaitement. Signe distinctif: une élégance naturelle que vient affirmer l’élégance du cœur. Mona Hraoui aura créé l’une des fondations médico-sociales les plus importantes du Liban et instauré un nouvel art de vivre présidentiel, qui trouve son raffinement dans la simplicité. Ne se lève-t-elle pas spontanément pour serrer la main des présents? Une certaine société de dames ne trouve-t-elle donc pas là quelque leçon à tirer?

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